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    Alphonse Boudard, prince de l’argot

     

      

      

    Le temps passe vite. Rappelez-vous, il n’y a pas si longtemps, ­Alphonse Boudard était le ­défenseur et l’illustrateur de la langue française. Orphelin au cœur pur, gouaille et poésie, il était le Musset de l’argomuche. Il n’a jamais cessé d’évoquer les petites gens.

      

    Libertaire, il se battait pour la liberté d’expression.

      

    Fraternel, il plébiscitait la liberté ­d’impression.

      

    Egalitaire, il croyait en la santé du pessimisme.

      

    Bleu comme la République, blanc comme la monarchie, rouge comme le marxisme : ­Boudard était un homme tricolore. Il faut relire l’histoire de la fermeture des claques (pauvre Marthe ­Richard !) et le parcours de Joseph Joanovici (un Juif collabo !) pendant la Seconde Guerre mondiale.

      

    C’est ­vivant, coloré, documenté, plein de cet allant roboratif qui manque tant à la littérature française.

      

    Cet enfant du siècle avait la confession soyeuse, la colère précise, l’interjection salutaire.

     

     

    Tubard, taulard, tricard, Michel Boudon, alias Alphonse Boudard, en avait trop bavé pour dire aux autres ce qu’il faut faire.

      

    Avec lui, comme avec Céline, on rit. L’argot est sous sa plume virevoltant, néologique, ­rigolo, moqueur, créatif, truculent, digne de Dard et d’Audiard. Ces trois noms qui riment étaient frères d’âme.

      

    Des hommes de ferveur. Des ­mystiques d’amitié.

    J’ai bien connu Alphonse. C’était un ami. Le mot est facile, mais il n’avait pas le tic du toc. C’était un raffiné.

      

    Avec « Mourir d’enfance », il n’assène pas, il suggère. Boudard a obtenu le Grand Prix du roman de l’Académie française pour ce livre.

     

    Je me rappelle sa joie contenue lors de la cérémonie

    présidée par Maurice Druon.

      

    Après avoir honoré le Rabelais moderne de la langue verte, on honorait en vert un magnifique et délicat écrivain français.

      

    Les autres ont beau dire, rien n’est oublié.

     

    Boudard nous rappelle à son bon souvenir.

      

    Salut, Alphonse.

     

      

      

      

      

    « Les métamorphoses d’Alphonse »,

    d’Alphonse Boudard, préface de Régine Deforges,

    éd. Robert Laffont, 806 pages,

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Quatre nouvelles extraites de

    Les enfants de choeur

    Flammarion

    1982

     

    Librio

    1996

     

    Lu dans le cadre de ma recherche pour les lectures en maison de retraite 

     

    Mandarine

    Récit plus ou moins autobiographique, comme presque tous les "romans" de cet auteur, c'est lors d'un passage en sanatorium que les deux compères se sont rencontrés.

    On y lit la déchéance d'un gamin breton, fait pour devenir pêcheur, qui à la suite de larcins alimentaires et de vols de bicyclettes, fera la tournée des maisons de redressement, bagnes et autres centrales. On y lit la dépravation de la rue, mais aussi des monastères(!).

    Récit sans concession, sans illusion.

      

    Le style argotique aide à la plongée, à épaissir l'atmosphère. Au premier degré on passe un bon moment grâce à cette langue fleurie.

    Donc les deux hommes, après un parcours pénitentiaire, où ils se sont croisés, sans plus, sont de passage en sanatorium pour soigner leur tuberculose. L'auteur vient de recevoir la promesse de voir publié "Cloportes ... aux éditions Tartemplon". "Une noble dame s'était pointée... Isaure Sigismonde...cornaquée d'un dandy fluet mi-tantouse, mi-gigolpince... Léonard Fraisier, le directeur littéraire..."

    Cela donne envie à Jean-Marie Le Houdic, dit Mandarine, de briser la glace. Il peint quant à lui et cherche des mécènes. C'est le toubib qui va servir d'entremetteur entre les deux taulards.

    Pour se sortir de l'enfermement des prisons, Jean-Marie s'est souvenu des heures passées à servir la messe auprès du recteur de son enfance et a simulé une profonde croyance en Dieu . Il a obtenu un noviciat qui a failli faire de lui le jouet de ces messieurs cloîtrés!

    Il lui en est resté des "cantiques. Il arrivait plus à se les sortir de la cafetière... ça lui remontait...

      - Comme quand t'as becté du hareng, tu m'entraves un peu?"

    Et de brailler le Salve Regina! le Veni Creator! Le Kyrie, eleison! dans les allées du sana.

     

    Enfin, lisez-le, 24 pages, moment récréatif garanti; trop noir pour la lecture à haute voix.

     

      La perquisition.

      Le héros a plongé pour un casse quelconque. Les flics savent qu'il avait un complice, qui c'était. Il ne leur manque que son témoignage, à lui, le déjà enfermé, pour arrêter l'autre. Mais le héros est coriace, pas donneur, il prend tout sur ses frêles épaules.

    Il est conduit à son dernier domicile pour une perquisition de plus. Destruction du plancher, du papier peint. Rien.

    Ils vont rentrer tous au dépôt en 403. Quand il lui est proposé de revoir sa mère. Dix-huit années seulement les séparent. Elle se meurt. Cancer. Il accepte aussitôt. Tout aussi vite il comprend que ce serait donnant-donnant. Il ne reverra pas sa mère.

    Cet épisode est poignant. Pas de faux-sentiment, du vécu, du souvenir d'enfance.

    A lire pour toucher du doigt la vraie détresse. Noir. (27 pages)

     

    Outrage aux moeurs.

    Le héros repasse en correctionnelle. Il a écrit un ouvrage licencieux, Les prisonnières de la chair et la société lui demande des comptes. Il va passer quelques mois de plus à l'ombre.

    Le greffier connu dans tout Montmartre sous le sobriquet de Brigitte n'est pas insensible au charme de notre héros.

    Drôle. Moment récréatif garanti mais inexploitable, les bonnes moeurs sont exigeantes!(11 pages)

     

    Gladys.

    Scènes de la vie parisienne.

     

      

    Ouf! Quelle fin, grandiose.

      

    Une femme et un homme âgés, sur un banc. Le litron qui s'échange et la cigarette faite de mégots dépiautés. Elle a mené grand train, quand elle était une belle jeune femme. Lui était militaire. On le surnomme Saïgon. Ce récit déborde d'humanité, la fin est sordide.(19 pages)

    Noir noir.

     

     

     

     

     

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    Il y a eu dix ans le 14 janvier 2010 qu’Alphonse Boudard a calanché.

    Lui, contrairement à Bob Giraud, je l'ai rencontré. En chair et en os.

     

     

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    Ah, je ne peux pas prétendre avoir été son ami, ça serait bien me vanter.

    Je l’ai invité deux fois à l’Obsidienne, la librairie que je tenais avec mon amie Hélène Bachet, à la Bastille, de 1989 à 1991.

    Affable et chaleureux, Boudard possédait une espèce de prestance, une élégance mâtinée voyou, comme dirait Claude Dubois, qui n’incitait pas à lui taper sur les cuisses en sortant des vannes un peu graveleuses.

    Bref, c’était un monsieur.

    Mais pas un de ces messieurs au cerveau calciné par des humanités acquises à grandes pelletées.

    C’était un monsieur qui avait vécu.

      

      

      

    Ses livres on le sait puisaient du côté de l’autobiographie. Sa vie était un roman. Et lui un grand bonhomme qui, sans compter, accorda du temps au journaliste débutant que j’étais. J'ignorais alors que l'auteur de La Métamorphose des cloportes avait connu Bob. Il faut dire qu'à l'époque, je ne connaissais pas ce dernier (ceci explique cela...).

     

    Peu après la sortie de l’Age d’or des maisons closes (Albin Michel, 1990), l’auteur étant venu le dédicacer dans ma librairie, je lui avais proposé de l'interviewer dans l’idée de placer le papier quelque part.

     

    Je viens de retrouver notre discussion. La voici en exclusivité, 19 ans après ! Vous remarquerez au passage que les propos d'Alphonse Boudard à propos des maisons closes et de la prostitution en général n'ont pas pris une ride...

     

    Je dédie cette interview à Jean-Michel Moret qui sait pourquoi

     

    Olivier Bailly : A quand remonte votre intérêt pour les maisons closes ?
    Alphonse Boudard : Je vais essayer de vous expliquer exactement la genèse de tout ça. J’ai toujours vécu avec ces histoires de bordels, de prostitution en toile de fond parce que ma mère se défendait comme ça.

     

    Quand on m’a fait des reproches sur le fait que je choisissais ce sujet j’ai dit que j’étais mieux placé qu’un autre pour en parler. Bon, historiquement, il fallait que j’apprenne des tas de choses, mais enfin, pour l’essentiel, j’avais compris un petit peu de quoi il s’agissait. J’ai évoqué les maisons dans différents livres, par exemple dans Bleubite où il y a une scène célèbre dans un bobinard, mais je n’avais pas l’intention du tout d’écrire là-dessus.

      

    Un jour, j’ai raconté à un ami, qui est directeur littéraire chez Laffont, ce que je savais sur la mécanique de la Fermeture. Il me dit « Faut faire un livre ».

     

    Moi je lui réponds que ça ne me paraît pas intéressant, suffisant, que tout ça est anecdotique seulement. Il en parle à Robert Laffont qui me rencontre, on discute et, de fil en aiguille, on en arrive à un contrat et un livre qui s’appellerait La Fermeture et qui serait inclus dans une collection,

      

    Ce jour-là dans laquelle il y avait eu le 6 juin 1944 le jour le plus long, le 14 juillet 1789 la prise de la Bastille, etc. et je pensais que finalement dans l’histoire les mœurs ont beaucoup d’importance et que le 13 avril 1946 est une date historique qui est d’ailleurs passée inaperçue parce que c’est une chose qui paraissait à l’époque un détail. Et puis la collection s’est arrêtée entre-temps, mais on a fait le livre qui s’appelle donc La Fermeture, le 13 avril 1946. Quarante ans après, en 86.

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    Olivier Bailly : Maintenant ça fait 45 ans. On va faire une fête… les rouvrir ?

    Alphonse Boudard : Pourquoi pas ? Non, ce n’est pas possible de les rouvrir parce que c’est le passé. La marine à voile, quoi. Ça ne pourrait se rouvrir que sous une forme très, très différente. D’abord, légalement, on ne peut pas le faire parce qu’on a adhéré à une convention européenne sur le traitement des êtres humains en 1949, donc on ne peut pas. On a supprimé la peine de mort, on ne peut pas revenir sur cette question à cause de cette fameuse convention.

      

    C’est pareil avec les maisons closes. Bien sûr, on peut toujours se débrouiller de casser avec les autorités européennes sur ce problème, mais enfin on ne va pas s’amuser à ça. Et puis, surtout, les choses ont évolué tellement depuis 45 ans… On ne se rend pas compte, mais on a évolué dans la plupart des domaines infiniment plus en 45 ans qu’en 800 ans auparavant.

    Les mœurs s’en sont ressenties. L’éclatement de mai 68 fait partie de cette évolution. Alors, ce que je dis, par rapport à 1946, c’est que, si l’on n’avait pas fermé les maisons (parce qu’on ne les a pas fermées pour des raisons sociales ou morales, mais pour des raisons politiques), elles auraient continué, mais différemment.

      

    Parce que les filles qui viennent dire aujourd’hui « c’étaient des ghettos épouvantables… » ne le pourraient plus. Maintenant, les maisons seraient contrôlées par la police, par la sécurité sociale et les filles qui y travailleraient bénéficieraient toutes de l’assurance sociale, des congés payés et de la retraite comme les autres travailleurs…

     

    Olivier Bailly : Des fonctionnaires du sexe…

    Alphonse Boudard : Des espèces de fonctionnaires du sexe et ce serait encore le meilleur moyen pour contrôler le proxénétisme. Le gros défaut des maisons, c’est qu’elles étaient l’affaire des proxénètes et de la police, alors…

     

    Olivier Bailly : Pourquoi de la police ?

    Alphonse Boudard : Parce que les proxénètes les contrôlaient et elle savait beaucoup de choses par les maisons. Maintenant les flics vous disent qu’ils s’en foutent, qu’ils ont les écoutes et que c’est bien plus intéressant que le bordel. Alors vous voyez que les choses ont évolué.

     

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    Photo Mandor

      

    Olivier Bailly : A l’époque, la police a t-elle tenté d’exercer des pressions pour que les pressions restent ouvertes ?

    Alphonse Boudard : Elle a essayé, mais elle ne le pouvait pas. Elle n’était pas assez forte. Pendant une période d’environ trente ans elle a essayé de faire marcher les clandestins, ce qu’on appelait les « clandés », c’est-à-dire des maisons qui avaient une autorisation des flics et qui continuaient à fonctionner. Marcellinest arrivé en place et a démantelé tout ça. Après, il y a eu les systèmes des flics qui contrôlaient les hôtels de passe.

      

    On a aussi démantelé ça en faisant tomber les patrons des hôtels pour proxénétisme hôtelier. A chaque fois on a cassé un peu le système, mais il renaissait toujours d’une autre façon et, la grande difficulté, c’est que, quand il renaît, on le contrôle encore moins et il est encore plus douloureux peut-être pour les prostituées.

    Je veux dire qu’elles avaient plus de protection dans un bordel que dans le Bois de Boulogne, plus même dans un hôtel de passe qui était pourtant lamentable que dans le Bois de Boulogne. Quand Madame Barzach a été se balader naïvement dans le Bois, elle est revenue horrifiée en disant qu’il fallait rouvrir les maisons.

     

    C’était une réaction de femme qui ne connaissait pas le problème. Les flics répondent à ça d’une part on ne peut pas les rouvrir à cause de la convention que j’ai évoquée et d’autre part qu’il vaut mieux les garder dans le Bois de Boulogne parce que pendant qu’elles sont là elles ne sont pas ailleurs et, au moins, on sait où elles sont… Mais pour en revenir à cette évolution dont je parlais tout à l’heure, je vois trois choses formidables depuis 1945 : il y a mai 68 et deuxième il y a la drogue.

      

    Autrefois, les macs tenaient les filles par le violon, la sérénade ? « j’t’adore », etc. Et puis il les mettaient au tapin et les tenaient ensuite par la violence. Maintenant, il y a la came. Et c’est terrible ! On met accroc les filles… Et puis tertio, qui va compliquer tout : le Sida. A ajouter à cela, que je rattache à 68 dans l’explosion des mœurs : les travestis, l’homosexualité. Alors, vous voyez que ce n’est plus la même chose. Quand on parle de nos histoires de l’âge d’or des maisons closes avec Romi, on parle du bateau à voiles, on parle de choses disparues.

     

    Olivier Bailly : Ça fait partie de l’histoire

    Alphonse Boudard : Ça fait partie de l’histoire. Alors je ne vois pas pourquoi (agacé)…C’est là où j’ai été assez choqué. Parce qu’il y a des libraires qui ne me mettaient pas en vitrine ou qui disaient « nous on ne peut pas beaucoup vendre ce livre parce que notre clientèle ne comprendrait pas.. ». J’ai eu des gens qui venaient faire signer le bouquin en disant « mettez pas mon nom surtout ».

     

    Olivier Bailly : Ou « c’est pour un ami »

    Alphonse Boudard : Ouais, c’est pour un ami ou « ah oui, j’aime bien lire vos livres, mais je ne peux pas prendre celui-là, je ne peux pas le laisser dans ma bibliothèque… ». On en est là. Des contradictions. ! D’un côté tu as Canal+…Minuit… T’as un film hard. Et de l’autre t’as des gens qui te disent ça. Tout cohabite, c’est curieux.

      

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    Olivier Bailly : C’est vachement plus puritain qu’il y a 45 ans

    Alphonse Boudard : On en parlait plus facilement parce que ça existait.

    On disait bon y’a le bordel et puis voilà.

      

      

      

    Olivier Bailly : C’était une institution, en somme ?

     

    Alphonse Boudard : Dans une petite ville il y avait l’église, il y avait le bistrot du coin, le bordel et le couvent des oiseaux, enfin il y avait différentes choses qui cohabitaient. Et c’est fini. C’était une espèce de tissu social qui était autour du village, autour de l’artisanat, de la paysannerie, qui n’existe plus. Evidemment, on parle de marine à voile, c’est bien d’en parler parce qu’on dit « il est magnifique ce voilier, il est formidable », mais il y a les mecs dans la galère qui rament aussi, puisqu’on est sous Louis XVI… Donc, c’est beau, c’est une très belle chose à voir, mais, bien sûr, il y a toujours le côté noir… Ceux qui travaillent dans les soutes.

     

    Olivier Bailly : Vous ne prenez jamais parti ?

    Alphonse Boudard : Ah je peux pas ! Je peux pas ! D’abord, je ne suis pas juge. Je ne dois pas me placer d’un point de vue ou d’un autre. Il est évident que quand je parlais des grands criminels, j’ai essayé de faire la part des choses. D’un côté les circonstances atténuantes et de l’autre les circonstances aggravantes. Prenons le cas de Bonnot. On vient de chez Maxim’s, on bouffe, on se conduit comme des procs devant ce qui type qui est seul aumonde.

    Mais auparavant, quand il est venu de Lyon avec son copain l’anarchiste et qu’il raconte comment il l’a blessé et achevé pour qu’il ne souffre pas et comment il lui a piqué son pognon… Là il se conduit vraisemblablement comme la pire des crapules. Mais c’est pourtant le même homme. Quand je prends le cas de Landru. Il s’occupe de sa famille, il a quatre gosses, il n’est pas si mal (rires)…

     

    Olivier Bailly : C’est un bon père de famille !

    Alphonse Boudard : Oui, mais même quand il est avec sa maîtresse, il est un remarquable amant, et pas seulement au lit, mais dans le comportement. C’est ça le comportement des hommes. Il faut tout dire. Et c’est pareil pour les bordels. Il faut dire ses splendeurs, ses attraits, ses drôleries et puis il faut dire aussi la tôle d’abattage, les horreurs. Je trouve qu’on ne peut pas faire une étude sérieuse sur les bordels sans lire par exemple le livre de Maxence Van der Meersch Femmes à l’encan qui a exprimé des choses justes. <!--[endif]-->

    Olivier Bailly : Donc il y avait maisons closes et maisons closes ? Il y avait les maisons de société où la fine fleur du tout-Paris venait prendre un verre sans forcément consommer et puis il y avait les tôles d’abattage, immondes…

     

    Alphonse Boudard : Si vous voulez, au départ, quand il y a les maisons, dans la première période du XIXème siècle, elles existent, on sait qu’elles sont là, on sait que les militaires vont dans ces endroits et que les messieurs qui ont des petites envies ou des passions particulières y vont également, mais on n’en parle pas. Et puis, à partir du moment où les artistes commencent à en parler, ça explose. Alors Lautrec, alors Maupassant, alors Lorrain, etc. Mais elles ne sont pas encor, à ce moment-là, au point de devenir ce qu’on appellera des maisons de société. La première expérience dans ce domaine c’est le Chabanais qui l’inaugurera.

      

    Le Chabanais est d’abord réservé aux membres du Jockey-club.

      

    Là, on fait dans le snob. C’est là que va venir le futur roi d’Angleterre, le Prince de Galles qui sera Edouard VII. C’est là que vont venir une quantité de gens chics, les présidents, les rois en vadrouille… Ils viennent tous faire un tour là et, par la suite, en 1920 et quelque, quand Jamet ouvre le One two two, il invente la formule club, il fait une sorte de complexe. Alors il y a le bordel avec les filles, il y a le restaurant où on fait le bœuf à la ficelle et puis il y a le club et les gens viennent. Ça va faire le renom de la maison parce que tout le monde va y passer.

      

    Olivier Bailly : C’est une sorte de salon. Il faut en être ?

     

    Alphonse Boudard : C’est ça. Et le fait qu’on voit Maurice Chevalier, Tino Rossi ou Colette donnera de l’éclat à la maison. Forcément, c’est rare que des types du niveau de Maurice Chevalier ou Tino Rossi grimpent devant tout le monde avec une pute. Mais il y a d’autres clients qui sont des célébrités comme Georges Simenon ou Michel Simon qui y vont carrément et on le sait et ils ne s’en cachent pas du tout. Mon ami Romi, lui, allait faire des dessins. Il finissait par être copain avec la patronne, elle était contente, puis après il gardait les dessins et c’est comme ça qu’il a des témoignages.

      

    Il gardait les cartes de visites, les cendriers parce que c’est un collectionneur et c’est un peu un esprit savant. Alors ça, c’était la nouvelle formule. Après, il y a eu le Sphinx qui était une espèce de club, également, et les choses auraient pu encore évoluer. On aurait vu Régine qui aurait tenu à la fois sa boîte, un bordel, un restaurant, etc. Elle aurait été fabuleuse, là-dedans ! D’ailleurs, on a eu un projet de film ensemble sur un sujet comme ça. Elle collait bien.

     

    Olivier Bailly : Un peu avant 1946, au moment de la guerre, il y avait déjà des rivalités entre les grandes maisons. Certaines étaient pro-allemandes, d’autres non…

     

    Alphonse Boudard : Bof…On a raconté ça après… Mais il y avait des rivalités sérieuses qui étaient des rivalités commerciales, si je puis dire. C’était comme Leclerc et Carrefour. C’était ça…. Sous l’occupation, à mon avis, il s’est passé la chose suivante : vous comprenez qu’un type qui fait un business où il vend des bonnes femmes, c’est un voyou. Souvent il vient de la plus basse truanderie et il a monté les échelons parce qu’il est intelligent.

      

    Quand l’occupation est arrivée, ils ne savent pas ce qui va se passer. Personne ne le sait. Alors, les Allemands filent des règlements, réquisitionnent des maisons pour eux et puis s’arrangent avec les voyous.

     

    Les Allemands avaient un fric fou qui leur était donné par le gouvernement de Vichy au titre de l’indemnité journalière de guerre. Ce fric, ils le dépensent et il va alimenter tout. Il y a le marché noir, il est là, tout près, parce que vous pouvez pas tenir des maisons de luxe sans faire du marché noir.

    Vous n’allez pas là-dedans pour bouffer des rutabagas et boire de l’eau fraîche. Donc, il sonttrès liés aux Allemands et ils sont liés au marché noir et les Allemands savent que le marché noir est une bonne façon de tenir les gens.

     

    Les plus intelligents parmi eux ne viennent pas en disant « dites donc, on va faire ça, si vous ne nous donnez pas ça, vous serez fusillés ». Non, ils corrompent, ils se démerdent, ils s’arrangent, c’est plus malin. Les seuls tauliers qui auront un esprit vraiment à peu près résistant sont des gens par exemple qui sont d’origine juive. Ils comprennent très vite de quoi il retourne et eux sont forcément coincés.

      

    Quelques-uns uns. Mais dans l’ensemble ils attendent l’évolution de la situation et quand l’année 43 arrive, le vent tourne, ils prennent des garanties : ils ont caché trois Juifs dans la cave, ils ont planqué un parachutiste anglais, ils donnent de l’argent à la résistance qui traîne par là, de façon à être peinards.

     

    Mais la plupart ont été très mouillés avec les Allemands au point que beaucoup de grands tauliers, ceux qui tenaient les taules d’abattage, en croquaient avec la Gestapo. C’était une super police qui était au-dessus de la police française et qui pouvait envoyer chier les flics français en s’appuyant sur les Allemands.

     

    Olivier Bailly : C’était une époque idéale pour la pègre qui régnait impunément

    Alphonse Boudard : Bien entendu. Quand la Libération est arrivée se sont conjuguées deux choses : les moralistes qui venaient du MRP, parti chrétien qui était contre le bordel, et les communistes qui parlaient au nom de la patrie. Vous ne pouviez pas demander aux autres de ne pas suivre. Il est évident que quand l’affaire se déclenche on ne voit pas la nécessité absolue de s’occuper de fermer les bordels.

      

    Ce qui a sauvé les choses à ce moment-là, ce qui a sauvé les abolitionnistes, ces les antibiotiques. Si les antibiotiques n’étaient pas arrivés en même temps on avait une situation qui grimpait dans le domaine prophylactique… Un recrudescence de maladies vénériennes genre syphilis. Alors on aurait fait machine arrière.

    Et là, boum ! tout d’un coup, ils arrivent. Parce que les anti-abolitionnistes avaient dit « attention ! si vous fermez, vous allez voir, ça va grimper. Parce que les filles sont surveillées, ici ». Il y avait même des endroits, les fameux bordels qui étaient tenus par les Allemands, où la capote anglaise était obligatoire.

     

    Olivier Bailly : Malgré son nom ?

    Alphonse Boudard : (Rires). Malgré son nom, c’est que j’allais dire…Donc, la situation était grave et, tout d’un coup ça a été le miracle. C’est à ajouter à ce que je disais tout à l’heure à propos de l’évolution des mœurs. Il y a eu en 46-47 l’arrivée des antibiotiques qui suppriment les maladies vénériennes importantes de l’époque.

      

    Olivier Bailly : A l’époque ça ne pardonnait pas…

    Alphonse Boudard : Sauf que le syphilis n’était pas mortelle à tous les coups et qu’on pouvait parfois en guérir... Si elle était prise à temps et même avant les antibiotiques. Et puis sont arrivés la pilule et tous les contraceptifs possibles plus la loi qui autorise la loi sur l’avortement. Autant de choses qui ont compté dans cette fameuse évolution des mœurs.

     

     

    Olivier Bailly : Venons-en à Marthe Richard. Vous avez découvert à son sujet des choses inavouables. Etait-elle complètement pure ?

     

    Alphonse Boudard : Ah non, non… Pas du tout. Je suis sévère avec elle quand elle se place sur le plan où elle s’est placée en disant « je suis une moraliste qui a fait fermer les maisons ». Ça , c’est une blague. Là, je démonte tout le truc et ça n’a été possible qu’après sa mort parce qu’elle avait bénéficié d’une loi d’amnistie en 47 et on ne pouvait évoquer un certain nombre de choses dans sa vie, entre autres le fait qu’elle avait été elle-même prostituée et qu’elle avait eu des problèmes pour des affaires de drogues et des complicités d’escroquerie avec des personnages qui émargeaient à la Gestapo du boulevard Flandrin. C’était donc on ne peut plus noir. Elle a cependant réussi ce tour de passe-passe de devenir le symbole de la lutte contre la prostitution.

     

    Olivier Bailly : Elle s’est refait une vertu

    Alphonse Boudard : Totalement ! Et elle n’a joué que de la vertu, après. Elle est morte à 92 ans, avec la Légion d’honneur. On disait « Marthe Richard, la mère la vertu ». C’était pas ça du tout ! C’était le contraire. Voilà. Quand j’ai écrit le livre j’en ai consacré la moitié à Marthe Richard pour démontrer point par point qu’il s’agissait d’une légende. Je l’ai fait avec des documents très sûrs, de police. J’ai eu la fiche des renseignements généraux entre les mains eh bien, malgré cela, on entend toujours les gens dire « Ah ! Marthe Richard qui a fait fermer les maisons…Cette dame est respectable, c’est formidable ». Bon, elle n’a pas toujours eu 80 ans. D’où viennent les vieilles dames !

     

     

    Olivier Bailly : Revenons à la maison. Ou plutôt aux maisons. Filles du trottoir et filles des bordels bénéficient-elle du même traitement artistique ?

     

    Alphonse Boudard : On trouve une littérature autour des filles du trottoir. Chez Carco, chez les auteurs de la Série noire…Parce qu’il y a le lieu. Vous ne retrouverez pas cette jubilation ni ces artistes autour des taules d’abattage. Il y a quelques croquis, il y a des histoires, mais elles sont assimilées à peu près aux filles de la rue.

      

    Ce qui a provoqué l’intérêt des artistes autour des maisons c’est précisément parce qu’il y a eu le cadre, il y a une espèce de cérémonie, un lieu d’amour, le temple de l’amour physique, et puis il y a « Madame », il y a une ambiance et puis les gens, comme du One two two, du Chabanais, de la rue des Moulins où Toulouse-Lautrec avait sa chambre, ont créé un certain climat.

     

    Olivier Bailly : Une mythologie ?

    Alphonse Boudard : Une mythologie. Et ils sont revenus en cela à l’Antiquité…Ce que l’on peut reconstituer de Pompéi, on le doit aux artistes de ce genre. Voilà pour les maisons luxueuses. Les maisons de qualité moyenne, si je puis dire, ont été reconstitué par des gens comme Lorrain ou Maupassant dans leur côté convivial, province, etc. C’est vrai que si vous imaginez des gens qui sont par exemple représentants de commerce, ils arrivent dans une ville, à Yvetot, à Carpentras, le soir, ils sont au restaurant, je les ai vus, j’ai été dans des endroits comme ça pour des films ou des livres, ils bouffent puis ils vont regarder la télé et ils vont se coucher.

      

    S’ils ont des envies d’aller draguer ou de chercher une fille, ils ne trouvent rien ! Il y a des fois des espèces de boîtes qui sont à 25 kms, puis barka ! Ils ne vont pas aller se fatiguer là toute la nuit. Quand ils avaient le bobinard, ils connaissaient, ils y allaient, ils se retrouvaient entre copains, ils y venaient pour consommer une fille ou simplement pour prendre un verre, une coup de champ’, je ne sais quoi…

      

    Ils discutaient avec la patronne, elle les connaissait, c’étaient le gars qui vendait le Pernod ou qui vendait des bas ou de la porcelaine [lire l’excellent Femmes blafardes de Pierre Siniac, Rivages. Ndr]… C’était ça.

      

    Olivier Bailly : Il y avait donc un aspect très social

    Alphonse Boudard : Ah complètement, complètement ! C’était des bistrots avec des « montantes ». C’était ce que racontaient des gens comme Maupassant.

     

    Olivier Bailly : Au moment de la Fermeture, des gens se sont retrouvés sur le sable, et pas seulement les filles.

    Alphonse Boudard : Les macs se sont pas trop mal débrouillés. Ils ont pris des prête-noms qui ont tenu les hôtels de passe et puis eux ils sont allés se retirer à la campagne, pécher à la ligne, taper le carton… certains, qui avaient des maisons de luxe, des maisons très célèbres, n’ont pas pu se recycler parce qu’on ne pouvait pas remplacer, refaire autre chose d’équivalent au One two two ou au Chabanais et ils ont été plus ou moins ruinés. Ils ont essayé de se lancer dans d’autres activités, mais ce n’était plus pareil.

      

    Alors le bluff a été pour les filles. Parce qu’on racontait « bon on va fermer les maisons et le problème est résolu », mais il n’est pas résolu du tout et elles se sont toutes retrouvées sur le trottoir. Elles avaient les mêmes macs, les mêmes structures, elles étaient autour des hôtels et elles faisaient le tapin dans la rue Saint-Denis ou à Barbès-Rochechouart. C’était exactement la même chose.

      

    Alphonse Boudard et François Vignes
    © Archives F. Vignes

      

    Olivier Bailly : Pire peut-être ?

    Alphonse Boudard : Peut-être pire, en tous cas, parfois, elles étaient carrément dehors et quand il fait froid…

     

    Alors il y a des gens, très respectables d’ailleurs, qui veulent sauver des filles de joie et qui leur proposent des lieux genre petite pension de famille où on va les rééduquer, leur apprendre un métier, mais ça a marché que pour des putes qui étaient en bout de parcours. Ils sont à côté de la plaque parce qu’ils font des choses tout à fait honorables, utiles, mais pour une infime minorité…

     

    Olivier Bailly : Que sont devenus les objets baroques, les objets particuliers que l’on trouvait dans les maisons closes ?

    Alphonse Boudard : ça a été baladé de tous côtés, mais la plus grande vente a été faite après la Fermeture par Maître Maurice Rheims qui est aujourd’hui à l’Académie française. Romi, lui, a récupéré certaines choses.

      

    Le fameux siège et la baignoire en cuivre rouge en forme de cygnes se sont retrouvés chez Alain Vian, le frère de Boris, et chez Dali.

    C’est Dali qui a acheté la baignoire. Il trouvait que c’était un objet éminemment surréaliste. Le siège a été revendu en salle des ventes où il a fait 22 millions de centimes et c’est la descendante de l’ébéniste qui l’avait fabriqué qui l’a acheté.

      

    Olivier Bailly : Est-ce qu’il y encore de signes visibles, des preuves de l’existence de ces maisons dans Paris aujourd’hui ?

     

    Alphonse Boudard : Il y a encore des petites traces par-ci par là, mais les principales maisons n’existent plus. Le Chabanais, par exemple, est toujours là. Il y a des gens qui y vivent. Rue des Moulins, il n’y a plus rien. Je crois qu’il y a une agence de voyage à la place. L’immeuble où était le Sphinx a été démoli, boulevard Edgar-Quinet.

      

    Reste comme témoignage évident celui où, dit-on, le Maréchal Goering est venu baiser un jour de 1941 au 50, rue Saint-Georges.Au 9, rue de Navarin il faut que vous essayiez de rentrer sous le porche et de regarder de côté. Là on comprend tout de suite. D’abord, il y a une façade curieuse. Il y a des fenêtres en forme de hublot et puis, sur le côté, on peut découvrir ce que c’était.

     

    Au 106 boulevard de La Chapelle était une taule d’abattage célèbre qui est devenue après la Fermeture et pendant 25 ans environ le siège de l’Armée du salut. Et puis maintenant c’est un bazar nord-africain. Au One two two, 122, rue de Provence, c’est maintenant le syndicat des cuirs et peaux…Je crois qu’il y a eu un grand tort…

    On aurait du garder le Sphinx, le Chabanais, le One two two, la rue des Moulins, il y en a eu plusieurs comme ça… Enfin, on aurait pu en garder deux, trois. C’est des pièces historiques. On va bien voir la Conciergerie. C’est une taule, hein ? C’est moins gai encore

      

    Olivier Bailly : Vous avez travaillé en collaboration avec Romi pour ce bouquin. Son nom évoque malheureusement peu de choses pour les lecteurs d’aujourd’hui. Pourriez-vous nous en parler ?

     

    Alphonse Boudard : Ah Romi ! C'est un type formidable ! C’est un homme qui a tous les dons possibles. Il dessine très bien, il écrit très bien et il s’intéresse à tout ce qui est la petite histoire et aux choses qui paraissent être sans importance, mais qui finalement en ont. Il a fait de nombreux bouquins.

      

    Il y a quelques années il a sorti un livre tout à fait intéressant sur les célébrités oubliées. Il a regardé depuis 1789 les types qui, en leur temps, tout à coup, ont été aussi célèbres qu’aujourd’hui pourrait l’être Tapie et puis qui sont oubliés. Il s’est beaucoup occupé de l’histoire des mœurs puisqu’il a fait des livres sur la prostitution et il a une documentation, une iconographie fabuleuse. Il s’est intéressé à l’art, aux surréalistes notamment, et à l’art naïf.

     

    doisneau-chez-romi1196631945.1265565972.jpg

      

    C’est un homme qui toute sa vie a collectionné des choses autour de lui. Il est âgé, il a un esprit absolument de jeune homme. Il est en train de faire un bouquin sur l’histoire anecdotique du pet depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours ! Je lui fais une préface. C’est un volume énorme. Il a été chercher des parties de pétomanie sous Louis XIV ! C’est formidable ! Il a un esprit curieux.

    On peut lui parler de n’importe quoi, il sait tout. Il a fait un n0 du Crapouillot sur les monstres. Non, mais vraiment, c’est un type qui m’épate ! Il a donné dans le fait-divers aussi. Enormément. Je suis certain que c’est un auteur qu’il faudra redécouvrir, qu’il faudra rééditer.

    Au même titre que Marcel Montarron qui a été le grand homme du fait-divers depuis la naissance de Détective jusqu’à ce qu’il s’arrête. Je voudrais bien qu’on redécouvre Romi parce que c’est aussi très précieux, ça fait vraiment partie de la culture, beaucoup plus que des spéculations intellectuelles.

      

    Olivier Bailly : A part ça, quoi de neuf ?

    Alphonse Boudard : Je prépare une série d’émissions pour la télé sur des faits-divers. Je vais en tirer un bouquin…

     

    Olivier Bailly : Et un roman, bientôt ?
    Alphonse Boudard : Pas maintenant. J’en ai un dans les tiroirs en préparation, mais ce n’est pas pour maintenant.

     

     

    SOURCES

    http://robertgiraud.blog.lemonde.fr/2010/02/07/alphonse-boudard-interview-inedite-olivier-bailly/

     

     

     

     

    Né à :    Paris , 1925
    Mort à : Nice , 2000

    Biographie :

    Alphonse Boudard (Paris, 1925 - Nice, 2000) est un romancier français.
    Né d'un père inconnu et d'une mère courtisane, il est élevé dans une famille de paysans puis récupéré par sa grand mère parisienne ; il découvre alors le 13e arrondissement prolétaire. Confronté à la Seconde Guerre mondiale, il choisit la Résistance, puis à la Libération, les troupes du colonel Fabien. Blessé, il obtient la médaille militaire. Il dénonce dans ses livres les résistants de la dernière heure acclamant de Gaulle après avoir planqué le portrait du maréchal.

    Après la guerre, le drapeau noir flottant sur la marmite, il vit de petits boulots et traficote. Il glisse doucement mais sûrement dans les casses. Plusieurs séjours en prison et sanatorium pour soigner la tuberculose conduiront à des livres comme La Cerise et L'Hôpital. Il a dit devoir sa vocation d'écrivain à Albert Paraz. À partir de 33 ans, il se consacre à l'écriture en utilisant une langue drue, nourrie de l'argot et du langage populaire.
     
    Baptisés romans parce qu'il éprouve une forte crainte de choquer les familles des personnages dont il évoque les agissements scabreux et de s'exposer à des procès, ses principaux ouvrages sont néanmoins fortement autobiographiques avec quelques détours de son imagination. Il évoque ainsi un Paris populaire des années 40 à travers ses gangsters, proxénètes, maquerelles, escrocs et prêtres pervers...
     
    Il travaille également pour le cinéma, notamment en écrivant pour Jean Gabin lors de sa brouille avec Michel Audiard, et pour la télévision, avec l'écriture et la présentation d'une fantastique série sur "Les grands criminels". Son oeuvre est une des plus importantes de la littérature française d'après-guerre. Il fait partie de cette famille d'écrivains où l'on rencontre René Fallet, Albert Simonin ou encore Antoine Blondin.

     

     

     http://www.babelio.com/auteur/Alphonse-Boudard/2548

     

     

     

     

     

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    Alphonse Boudard, interview inédite

     

    age-or-maisons-boudard.1265565467.JPGIl y a eu dix ans le 14 janvier 2010 qu’Alphonse Boudard a calanché. Boudard, contrairement à Bob Giraud , je l’ai rencontré.

    Ah, je ne peux pas prétendre avoir été son ami, ça serait bien me vanter. Je l’ai invité deux fois à l’Obsidienne, la librairie que je tenais avec mon amie Hélène Bachet, à la Bastille, de 1989 à 1991.

    Affable et chaleureux, Boudard possédait une espèce de prestance, une élégance mâtinée voyou, comme dirait Claude Dubois, qui n’incitait pas à lui taper sur les cuisses en sortant des vannes un peu graveleuses. Bref, c’était un monsieur.

    Mais pas un de ces messieurs au cerveau calciné par des humanités acquises à grandes pelletées. C’était un monsieur qui avait vécu.

    Ses livres on le sait puisaient du côté de l’autobiographie. Sa vie était un roman. Et lui un grand bonhomme qui, sans compter, accorda du temps au journaliste débutant que j’étais.

    J'ignorais alors que l'auteur de La Métamorphose des cloportes avait connu Bob. Il faut dire qu'à l'époque, je ne connaissais pas ce dernier (ceci explique cela...).

    Peu après la sortie de l’Age d’or des maisons closes (Albin Michel, 1990), l’auteur étant venu le dédicacer dans ma librairie, je lui avais proposé de l'interviewer dans l’idée de placer le papier quelque part.

    Je viens de retrouver notre discusion en classant de vieux papiers. Le voici en exclusivité, 19 ans après !

    Vous remarquerez au passage que les propos d'Alphonse Boudard à propos des maisons closes et de la prostitution en général n'ont pas pris une ride...

    (Spéciale dédicace à Jean-Michel Moret qui sait pourquoi)

    Olivier Bailly : A quand remonte votre intérêt pour les maisons closes ?

    Alphonse Boudard. Je vais essayer de vous expliquer exactement la genèse de tout ça. J’ai toujours vécu avec ces histoires de bordels, de prostitution en toile de fond parce que ma mère se défendait comme ça.

    Quand on m’a fait des reproches sur le fait que je choisissais ce sujet j’ai dit que j’étais mieux placé qu’un autre pour en parler. Bon, historiquement, il fallait que j’apprenne des tas de choses, mais enfin, pour l’essentiel, j’avais compris un petit peu de quoi il s’agissait. J’ai évoqué les maisons dans différents livres, par exemple dans Bleubite où il y a une scène célèbre dans un bobinard, mais je n’avais pas l’intention du tout d’écrire là-dessus. Un jour, j’ai raconté à un ami, qui est directeur littéraire chez Laffont, ce que je savais sur la mécanique de la Fermeture. Il me dit « Faut faire un livre ».

    Moi je lui réponds que ça ne me paraît pas intéressant, suffisant, que tout ça est anecdotique seulement. Il en parle à Robert Laffont qui me rencontre, on discute et, de fil en aiguille, on en arrive à un contrat et un livre qui s’appellerait La Fermeture et qui serait inclus dans une collection, Ce jour-là dans laquelle il y avait eu le 6 juin 1944 le jour le plus long, le 14 juillet 1789 la prise de la Bastille, etc. et je pensais que finalement dans l’histoire les mœurs ont beaucoup d’importance et que le 13 avril 1946 est une date historique qui est d’ailleurs passée inaperçue parce que c’est une chose qui paraissait à l’époque un détail. Et puis la collection s’est arrêtée entre-temps, mais on a fait le livre qui s’appelle donc La Fermeture, le 13 avril 1946. Quarante ans après, en 86.

    fermeture.1265566242.jpg

    OB : Maintenant ça fait 45 ans. On va faire une fête… les rouvrir ?

    AB : Ben oui… Pourquoi pas ? Non, ce n’est pas possible de les rouvrir parce que c’est le passé. La marine à voile, quoi. Ça ne pourrait se rouvrir que sous une forme très, très différente. D’abord, légalement, on ne peut pas le faire parce qu’on a adhéré à une convention européenne sur le traitement des êtres humains en 1949, donc on ne peut pas. On a supprimé la peine de mort, on ne peut pas revenir sur cette question à cause de cette fameuse convention. C’est pareil avec les maisons closes. Bien sûr, on peut toujours se débrouiller de casser avec les autorités européennes sur ce problème, mais enfin on ne va pas s’amuser à ça. Et puis, surtout, les choses ont évolué tellement depuis 45 ans… On ne se rend pas compte, mais on a évolué dans la plupart des domaines infiniment plus en 45 ans qu’en 800 ans auparavant.

    Les mœurs s’en sont ressenties. L’éclatement de mai 68 fait partie de cette évolution. Alors, ce que je dis, par rapport à 1946, c’est que, si l’on n’avait pas fermé les maisons (parce qu’on ne les a pas fermées pour des raisons sociales ou morales, mais pour des raisons politiques), elles auraient continué, mais différemment. Parce que les filles qui viennent dire aujourd’hui « c’étaient des ghettos épouvantables… » ne le pourraient plus. Maintenant, les maisons seraient contrôlées par la police, par la sécurité sociale et les filles qui y travailleraient bénéficieraient toutes de l’assurance sociale, des congés payés et de la retraite comme les autres travailleurs…

    OB : Des fonctionnaires du sexe…

    AB : Oui, des espèces de fonctionnaires du sexe et ce serait encore le meilleur moyen pour contrôler le proxénétisme. Le gros défaut des maisons, c’est qu’elles étaient l’affaire des proxénètes et de la police, alors…

    OB : Pourquoi de la police ?

    AB : Parce que les proxénètes les contrôlaient et elle savait beaucoup de choses par les maisons. Maintenant les flics vous disent qu’ils s’en foutent, qu’ils ont les écoutes et que c’est bien plus intéressant que le bordel. Alors vous voyez que les choses ont évolué.

    boudard-mandor.1265564951.jpg

    Photo Mandor

    OB : A l’époque, la police a t-elle tenté d’exercer des pressions pour que les pressions restent ouvertes ?

    AB : Oui, elle a essayé, mais elle ne le pouvait pas. Elle n’était pas assez forte. Pendant une période d’environ trente ans elle a essayé de faire marcher les clandestins, ce qu’on appelait les « clandés », c’est-à-dire des maisons qui avaient une autorisation des flics et qui continuaient à fonctionner. Marcellinest arrivé en place et a démantelé tout ça. Après, il y a eu les systèmes des flics qui contrôlaient les hôtels de passe. On a aussi démantelé ça en faisant tomber les patrons des hôtels pour proxénétisme hôtelier. A chaque fois on a cassé un peu le système, mais il renaissait toujours d’une autre façon et, la grande difficulté, c’est que, quand il renaît, on le contrôle encore moins et il est encore plus douloureux peut-être pour les prostituées.

    Je veux dire qu’elles avaient plus de protection dans un bordel que dans le Bois de Boulogne, plus même dans un hôtel de passe qui était pourtant lamentable que dans le Bois de Boulogne. Quand Madame Barzach a été se balader naïvement dans le Bois, elle est revenue horrifiée en disant qu’il fallait rouvrir les maisons.

    C’était une réaction de femme qui ne connaissait pas le problème. Les flics répondent à ça d’une part on ne peut pas les rouvrir à cause de la convention que j’ai évoquée et d’autre part qu’il vaut mieux les garder dans le Bois de Boulogne parce que pendant qu’elles sont là elles ne sont pas ailleurs et, au moins, on sait où elles sont… Mais pour en revenir à cette évolution dont je parlais tout à l’heure, je vois trois choses formidables depuis 1945 : il y a mai 68 et deuxième il y a la drogue. Autrefois, les macs tenaient les filles par le violon, la sérénade ? « j’t’adore », etc. Et puis il les mettaient au tapin et les tenaient ensuite par la violence. Maintenant, il y a la came. Et c’est terrible ! On met accroc les filles… Et puis tertio, qui va compliquer tout : le Sida. A ajouter à cela, que je rattache à 68 dans l’explosion des mœurs : les travestis, l’homosexualité. Alors, vous voyez que ce n’est plus la même chose. Quand on parle de nos histoires de l’âge d’or des maisons closes avec Romi, on parle du bateau à voiles, on parle de choses disparues.

    OB : Ça fait partie de l’histoire

    AB : Ça fait partie de l’histoire. Alors je ne vois pas pourquoi (agacé)…C’est là où j’ai été assez choqué. Parce qu’il y a des libraires qui ne me mettaient pas en vitrine ou qui disaient « nous on ne peut pas beaucoup vendre ce livre parce que notre clientèle ne comprendrait pas.. ». J’ai eu des gens qui venaient faire signer le bouquin en disant « mettez pas mon nom surtout ».

    OB : Ou « c’est pour un ami »

    AB : Ouais, c’est pour un ami ou « ah oui, j’aime bien lire vos livres, mais je ne peux pas prendre celui-là, je ne peux pas le laisser dans ma bibliothèque… ». On en est là. Des contradictions. ! D’un côté tu as Canal+…Minuit… T’as un film hard. Et de l’autre t’as des gens qui te disent ça. Tout cohabite, c’est curieux.

    petot-portrait-boudard.1265566428.jpg OB : C’est vachement plus puritain qu’il y a 45 ans

    AB : Ah oui ! Onen parlait plus facilement parce que ça existait. On disait bon y’a le bordel et puis voilà.

    OB : C’était une institution, en somme ?

    AB : Dans une petite ville il y avait l’église, il y avait le bistrot du coin, le bordel et le couvent des oiseaux, enfin il y avait différentes choses qui cohabitaient. Et c’est fini. C’était une espèce de tissu social qui était autour du village, autour de l’artisanat, de la paysannerie, qui n’existe plus. Evidemment, on parle de marine à voile, c’est bien d’en parler parce qu’on dit « il est magnifique ce voilier, il est formidable », mais il y a les mecs dans la galère qui rament aussi, puisqu’on est sous Louis XVI… Donc, c’est beau, c’est une très belle chose à voir, mais, bien sûr, il y a toujours le côté noir… Ceux qui travaillent dans les soutes.

    OB : Vous ne prenez jamais parti ?

    AB : Ah je peux pas ! Je peux pas ! D’abord, je ne suis pas juge. Je ne dois pas me placer d’un point de vue ou d’un autre. Il est évident que quand je parlais des grands criminels, j’ai essayé de faire la part des choses. D’un côté les circonstances atténuantes et de l’autre les circonstances aggravantes. Prenons le cas de Bonnot. On vient de chez Maxim’s, on bouffe, on se conduit comme des procs devant ce qui type qui est seul aumonde. Mais auparavant, quand il est venu de Lyon avec son copain l’anarchiste et qu’il raconte comment il l’a blessé et achevé pour qu’il ne souffre pas et comment il lui a piqué son pognon… Là il se conduit vraisemblablement comme la pire des crapules. Mais c’est pourtant le même homme. Quand je prends le cas de Landru. Il s’occupe de sa famille, il a quatre gosses, il n’est pas si mal (rires)…

    OB : C’est un bon père de famille !

    AB : Oui, mais même quand il est avec sa maîtresse, il est un remarquable amant, et pas seulement au lit, mais dans le comportement. C’est ça le comportement des hommes. Il faut tout dire. Et c’est pareil pour les bordels. Il faut dire ses splendeurs, ses attraits, ses drôleries et puis il faut dire aussi la tôle d’abattage, les horreurs. Je trouve qu’on ne peut pas faire une étude sérieuse sur les bordels sans lire par exemple le livre de Maxence Van der Meersch Femmes à l’encan qui a exprimé des choses justes.

    OB : Donc il y avait maisons closes et maisons closes ? Il y avait les maisons de société où la fine fleur du tout-Paris venait prendre un verre sans forcément consommer et puis il y avait les tôles d’abattage, immondes…

    AB : Si vous voulez, au départ, quand il y a les maisons, dans la première période du XIXème siècle, elles existent, on sait qu’elles sont là, on sait que les militaires vont dans ces endroits et que les messieurs qui ont des petites envies ou des passions particulières y vont également, mais on n’en parle pas. Et puis, à partir du moment où les artistes commencent à en parler, ça explose. Alors Lautrec, alors Maupassant, alors Lorrain, etc. Mais elles ne sont pas encor, à ce moment-là, au point de devenir ce qu’on appellera des maisons de société. La première expérience dans ce domaine c’est le Chabanais qui l’inaugurera. Le Chabanais est d’abord réservé aux membres du Jockey-club. Là, on fait dans le snob. C’est là que va venir le futur roi d’Angleterre, le Prince de Galles qui sera Edouard VII. C’est là que vont venir une quantité de gens chics, les présidents, les rois en vadrouille… Ils viennent tous faire un tour là et, par la suite, en 1920 et quelque, quand Jamet ouvre le One two two, il invente la formule club, il fait une sorte de complexe. Alors il y a le bordel avec les filles, il y a le restaurant où on fait le bœuf à la ficelle et puis il y a le club et les gens viennent. Ça va faire le renom de la maison parce que tout le monde va y passer.

    OB : C’est une sorte de salon. Il faut en être ?

    AB : C’est ça. Et le fait qu’on voit Maurice Chevalier, Tino Rossi ou Colette donnera de l’éclat à la maison. Forcément, c’est rare que des types du niveau de Maurice Chevalier ou Tino Rossi grimpent devant tout le monde avec une pute. Mais il y a d’autres clients qui sont des célébrités comme Georges Simenon ou Michel Simon qui y vont carrément et on le sait et ils ne s’en cachent pas du tout. Mon ami Romi, lui, allait faire des dessins. Il finissait par être copain avec la patronne, elle était contente, puis après il gardait les dessins et c’est comme ça qu’il a des témoignages. Il gardait les cartes de visites, les cendriers parce que c’est un collectionneur et c’est un peu un esprit savant. Alors ça, c’était la nouvelle formule. Après, il y a eu le Sphinx qui était une espèce de club, également, et les choses auraient pu encore évoluer. On aurait vu Régine qui aurait tenu à la fois sa boîte, un bordel, un restaurant, etc. Elle aurait été fabuleuse, là-dedans ! D’ailleurs, on a eu un projet de film ensemble sur un sujet comme ça. Elle collait bien.

    OB : Un peu avant 1946, au moment de la guerre, il y avait déjà des rivalités entre les grandes maisons. Certaines étaient pro-allemandes, d’autres non…

    AB : Ah oui…Bof…On a raconté ça après… Mais il y avait des rivalités sérieuses qui étaient des rivalités commerciales, si je puis dire. C’était comme Leclerc et Carrefour. C’était ça…. Sous l’occupation, à mon avis, il s’est passé la chose suivante : vous comprenez qu’un type qui fait un business où il vend des bonnes femmes, c’est un voyou. Souvent il vient de la plus basse truanderie et il a monté les échelons parce qu’il est intelligent. Quand l’occupation est arrivée, ils ne savent pas ce qui va se passer. Personne ne le sait. Alors, les Allemands filent des règlements, réquisitionnent des maisons pour eux et puis s’arrangent avec les voyous.

    Les Allemands avaient un fric fou qui leur était donné par le gouvernement de Vichy au titre de l’indemnité journalière de guerre. Ce fric, ils le dépensent et il va alimenter tout. Il y a le marché noir, il est là, tout près, parce que vous pouvez pas tenir des maisons de luxe sans faire du marché noir. Vous n’allez pas là-dedans pour bouffer des rutabagas et boire de l’eau fraîche. Donc, il sonttrès liés aux Allemands et ils sont liés au marché noir et les Allemands savent que le marché noir est une bonne façon de tenir les gens.

    Les plus intelligents parmi eux ne viennent pas en disant « dites donc, on va faire ça, si vous ne nous donnez pas ça, vous serez fusillés ». Non, ils corrompent, ils se démerdent, ils s’arrangent, c’est plus malin. Les seuls tauliers qui auront un esprit vraiment à peu près résistant sont des gens par exemple qui sont d’origine juive. Ils comprennent très vite de quoi il retourne et eux sont forcément coincés. Quelques-uns uns. Mais dans l’ensemble ils attendent l’évolution de la situation et quand l’année 43 arrive, le vent tourne, ils prennent des garanties : ils ont caché trois Juifs dans la cave, ils ont planqué un parachutiste anglais, ils donnent de l’argent à la résistance qui traîne par là, de façon à être peinards.

    Mais la plupart ont été très mouillés avec les Allemands au point que beaucoup de grands tauliers, ceux qui tenaient les taules d’abattage, en croquaient avec la Gestapo. C’était une super police qui était au-dessus de la police française et qui pouvait envoyer chier les flics français en s’appuyant sur les Allemands.

    OB : C’était une époque idéale pour la pègre qui régnait impunément

    AB : Bien entendu. Quand la Libération est arrivée se sont conjuguées deux choses : les moralistes qui venaient du MRP, parti chrétien qui était contre le bordel, et les communistes qui parlaient au nom de la patrie. Vous ne pouviez pas demander aux autres de ne pas suivre. Il est évident que quand l’affaire se déclenche on ne voit pas la nécessité absolue de s’occuper de fermer les bordels. Ce qui a sauvé les choses à ce moment-là, ce qui a sauvé les abolitionnistes, ces les antibiotiques. Si les antibiotiques n’étaient pas arrivés en même temps on avait une situation qui grimpait dans le domaine prophylactique… Un recrudescence de maladies vénériennes genre syphilis. Alors on aurait fait machine arrière.

    Et là, boum ! tout d’un coup, ils arrivent. Parce que les anti-abolitionnistes avaient dit « attention ! si vous fermez, vous allez voir, ça va grimper. Parce que les filles sont surveillées, ici ». Il y avait même des endroits, les fameux bordels qui étaient tenus par les Allemands, où la capote anglaise était obligatoire.

    OB : Malgré son nom ?

    AB : (Rires). Malgré son nom, c’est que j’allais dire…Donc, la situation était grave et, tout d’un coup ça a été le miracle. C’est à ajouter à ce que je disais tout à l’heure à propos de l’évolution des mœurs. Il y a eu en 46-47 l’arrivée des antibiotiques qui suppriment les maladies vénériennes importantes de l’époque.

    OB : A l’époque ça ne pardonnait pas…

    AB : Sauf que le syphilis n’était pas mortelle à tous les coups et qu’on pouvait parfois en guérir... Si elle était prise à temps et même avant les antibiotiques. Et puis sont arrivés la pilule et tous les contraceptifs possibles plus la loi qui autorise la loi sur l’avortement. Autant de choses qui ont compté dans cette fameuse évolution des mœurs. <!--[endif]-->

    OB : Venons-en à Marthe Richard. Vous avez découvert à son sujet des choses inavouables. Etait-elle complètement pure ?

    AB : Ah non, non… Pas du tout. Je suis sévère avec elle quand elle se place sur le plan où elle s’est placée en disant « je suis une moraliste qui a fait fermer les maisons ». Ça , c’est une blague. Là, je démonte tout le truc et ça n’a été possible qu’après sa mort parce qu’elle avait bénéficié d’une loi d’amnistie en 47 et on ne pouvait évoquer un certain nombre de choses dans sa vie, entre autres le fait qu’elle avait été elle-même prostituée et qu’elle avait eu des problèmes pour des affaires de drogues et des complicités d’escroquerie avec des personnages qui émargeaient à la Gestapo du boulevard Flandrin. C’était donc on ne peut plus noir. Elle a cependant réussi ce tour de passe-passe de devenir le symbole de la lutte contre la prostitution.

    OB : Elle s’est refait une vertu

    AB : Ah oui ! Totalement ! Et elle n’a joué que de la vertu, après. Elle est morte à 92 ans, avec la Légion d’honneur. On disait « Marthe Richard, la mère la vertu ». C’était pas ça du tout ! C’était le contraire. Voilà. Quand j’ai écrit le livre j’en ai consacré la moitié à Marthe Richard pour démontrer point par point qu’il s’agissait d’une légende. Je l’ai fait avec des documents très sûrs, de police. J’ai eu la fiche des renseignements généraux entre les mains eh bien, malgré cela, on entend toujours les gens dire « Ah ! Marthe Richard qui a fait fermer les maisons…Cette dame est respectable, c’est formidable ». Bon, elle n’a pas toujours eu 80 ans. D’où viennent les vieilles dames !

    OB : Revenons à la maison. Ou plutôt aux maisons. Filles du trottoir et filles des bordels bénéficient-elle du même traitement artistique ?

    AB : On trouve une littérature autour des filles du trottoir. Chez Carco, chez les auteurs de la Série noire…Parce qu’il y a le lieu. Vous ne retrouverez pas cette jubilation ni ces artistes autour des taules d’abattage. Il y a quelques croquis, il y a des histoires, mais elles sont assimilées à peu près aux filles de la rue. Ce qui a provoqué l’intérêt des artistes autour des maisons c’est précisément parce qu’il y a eu le cadre, il y a une espèce de cérémonie, un lieu d’amour, le temple de l’amour physique, et puis il y a « Madame », il y a une ambiance et puis les gens, comme du One two two, du Chabanais, de la rue des Moulins où Toulouse-Lautrec avait sa chambre, ont créé un certain climat.

    OB : Une mythologie ?

    AB : Une mythologie. Et ils sont revenus en cela à l’Antiquité…Ce que l’on peut reconstituer de Pompéi, on le doit aux artistes de ce genre. Voilà pour les maisons luxueuses. Les maisons de qualité moyenne, si je puis dire, ont été reconstitué par des gens comme Lorrain ou Maupassant dans leur côté convivial, province, etc. C’est vrai que si vous imaginez des gens qui sont par exemple représentants de commerce, ils arrivent dans une ville, à Yvetot, à Carpentras, le soir, ils sont au restaurant, je les ai vus, j’ai été dans des endroits comme ça pour des films ou des livres, ils bouffent puis ils vont regarder la télé et ils vont se coucher. S’ils ont des envies d’aller draguer ou de chercher une fille, ils ne trouvent rien ! Il y a des fois des espèces de boîtes qui sont à 25 kms, puis barka ! Ils ne vont pas aller se fatiguer là toute la nuit. Quand ils avaient le bobinard, ils connaissaient, ils y allaient, ils se retrouvaient entre copains, ils y venaient pour consommer une fille ou simplement pour prendre un verre, une coup de champ’, je ne sais quoi… Ils discutaient avec la patronne, elle les connaissait, c’étaient le gars qui vendait le Pernod ou qui vendait des bas ou de la porcelaine [lire l’excellent Femmes blafardes de Pierre Siniac, Rivages. Ndr]… C’était ça.

    OB : Il y avait donc un aspect très social

    AB : Ah complètement, complètement ! C’était des bistrots avec des « montantes ». C’était ce que racontaient des gens comme Maupassant.

    OB : Au moment de la Fermeture, des gens se sont retrouvés sur le sable, et pas seulement les filles.

    AB : Les macs se sont pas trop mal débrouillés. Ils ont pris des prête-noms qui ont tenu les hôtels de passe et puis eux ils sont allés se retirer à la campagne, pécher à la ligne, taper le carton… certains, qui avaient des maisons de luxe, des maisons très célèbres, n’ont pas pu se recycler parce qu’on ne pouvait pas remplacer, refaire autre chose d’équivalent au One two two ou au Chabanais et ils ont été plus ou moins ruinés. Ils ont essayé de se lancer dans d’autres activités, mais ce n’était plus pareil. Alors le bluff a été pour les filles. Parce qu’on racontait « bon on va fermer les maisons et le problème est résolu », mais il n’est pas résolu du tout et elles se sont toutes retrouvées sur le trottoir. Elles avaient les mêmes macs, les mêmes structures, elles étaient autour des hôtels et elles faisaient le tapin dans la rue Saint-Denis ou à Barbès-Rochechouart. C’était exactement la même chose.

    OB : Pire peut-être ?

    AB : Peut-être pire, en tous cas, parfois, elles étaient carrément dehors et quand il fait froid…Alors il y a des gens, très respectables d’ailleurs, qui veulent sauver des filles de joie et qui leur proposent des lieux genre petite pension de famille où on va les rééduquer, leur apprendre un métier, mais ça a marché que pour des putes qui étaient en bout de parcours. Ils sont à côté de la plaque parce qu’ils font des choses tout à fait honorables, utiles, mais pour une infime minorité…

    OB : Que sont devenus les objets baroques, les objets particuliers que l’on trouvait dans les maisons closes ?

    AB : ça a été baladé de tous côtés, mais la plus grande vente a été faite après la Fermeture par Maître Maurice Rheims qui est aujourd’hui à l’Académie française. Romi, lui, a récupéré certaines choses.Le fameux siège et la baignoire en cuivre rouge en forme de cygnes se sont retrouvés chez Alain Vian, le frère de Boris, et chez Dali. C’est Dali qui a acheté la baignoire. Il trouvait que c’était un objet éminemment surréaliste. Le siège a été revendu en salle des ventes où il a fait 22 millions de centimes et c’est la descendante de l’ébéniste qui l’avait fabriqué qui l’a acheté.

    OB : Est-ce qu’il y encore de signes visibles, des preuves de l’existence de ces maisons dans Paris aujourd’hui ?

    AB : Il y a encore des petites traces par-ci par là, mais les principales maisons n’existent plus. Le Chabanais, par exemple, est toujours là. Il y a des gens qui y vivent. Rue des Moulins, il n’y a plus rien. Je crois qu’il y a une agence de voyage à la place. L’immeuble où était le Sphinx a été démoli, boulevard Edgar-Quinet. Reste comme témoignage évident celui où, dit-on, le Maréchal Goering est venu baiser un jour de 1941 au 50, rue Saint-Georges.Au 9, rue de Navarin il faut que vous essayiez de rentrer sous le porche et de regarder de côté. Là on comprend tout de suite. D’abord, il y a une façade curieuse. Il y a des fenêtres en forme de hublot et puis, sur le côté, on peut découvrir ce que c’était.

    Au 106 boulevard de La Chapelle était une taule d’abattage célèbre qui est devenue après la Fermeture et pendant 25 ans environ le siège de l’Armée du salut. Et puis maintenant c’est un bazar nord-africain. Au One two two, 122, rue de Provence, c’est maintenant le syndicat des cuirs et peaux…Je crois qu’il y a eu un grand tort… On aurait du garder le Sphinx, le Chabanais, le One two two, la rue des Moulins, il y en a eu plusieurs comme ça… Enfin, on aurait pu en garder deux, trois. C’est des pièces historiques. On va bien voir la Conciergerie. C’est une taule, hein ? C’est moins gai encore

    OB : Vous avez travaillé en collaboration avec Romi pour ce bouquin. Son nom évoque malheureusement peu de choses pour les lecteurs d’aujourd’hui. Pourriez-vous nous en parler ?

    AB : Ah Romi ! Romi est un type formidable ! C’est un homme qui a tous les dons possibles. Il dessine très bien, il écrit très bien et il s’intéresse à tout ce qui est la petite histoire et aux choses qui paraissent être sans importance, mais qui finalement en ont. Il a fait de nombreux bouquins. Il y a quelques années il a sorti un livre tout à fait intéressant sur les célébrités oubliées. Il a regardé depuis 1789 les types qui, en leur temps, tout à coup, ont été aussi célèbres qu’aujourd’hui pourrait l’être Tapie et puis qui sont oubliés. Il s’est beaucoup occupé de l’histoire des mœurs puisqu’il a fait des livres sur la prostitution et il a une documentation, une iconographie fabuleuse. Il s’est intéressé à l’art, aux surréalistes notamment, et à l’art naïf.

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    Robert Doisneau

    C’est un homme qui toute sa vie a collectionné des choses autour de lui. Il est âgé, il a un esprit absolument de jeune homme. Il est en train de faire un bouquin sur l’histoire anecdotique du pet depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours ! Je lui fais une préface. C’est un volume énorme. Il a été chercher des parties de pétomanie sous Louis XIV ! C’est formidable ! Il a un esprit curieux. On peut lui parler de n’importe quoi, il sait tout. Il a fait un n0 du Crapouillot sur les monstres. Non, mais vraiment, c’est un type qui m’épate ! Il a donné dans le fait-divers aussi. Enormément. Je suis certain que c’est un auteur qu’il faudra redécouvrir, qu’il faudra rééditer. Au même titre que Marcel Montarron qui a été le grand homme du fait-divers depuis la naissance de Détective jusqu’à ce qu’il s’arrête. Je voudrais bien qu’on redécouvre Romi parce que c’est aussi très précieux, ça fait vraiment partie de la culture, beaucoup plus que des spéculations intellectuelles. <!--[endif]-->

    OB : A part ça, quoi de neuf ?

    AB : Eh bien, je prépare une série d’émissions pour la télé sur des faits-divers. Je vais en tirer un bouquin…

    OB : Et un roman ? Bientôt ?

    AB : Pas maintenant. J’en ai un dans les tiroirs en préparation, mais ce n’est pas pour maintenant.

     

      

    SOURCES

    http://robertgiraud.blog.lemonde.fr/2010/02/07/

    alphonse-boudard-interview-inedite/

     

     

     

     

     

     

     

      

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