• CHAQUE EGOUT de Paris a ses immondices.... particulières ( 1836 )

     

     

     

     "Chaque égout de Paris a ses immondices particulières" (Jules Janin, 1836)

     
    Egout collecteur construit sous le boulevard de Sébastopol à Paris,
    gravure du Monde Illustré (1858).
     
    « Chaque égout de Paris a ses immondices particulières. L'École Militaire, l'Hôtel des Invalides, la Salpêtrière, font de l'égout qui les traverse une véritable fosse d'aisances ; l'égout des abattoirs est rempli de matières animales ; l'égout des Gobelins est une teinture noirâtre. Comme aussi chaque égout a une odeur qui lui est propre ; — odeur fade — ammoniacale — d'hydrogène sulfuré — odeur putride, — odeur d'eau de savon ou de vaisselle croupie en été entre les pavés. L'odeur fade est la plus innocente de toutes ; c'est l'odeur des égouts bien tenus et dans lesquels l'air circule. — l'odeur ammoniacale, c'est l'odeur des fosses d'aisances en grand. — L'hydrogène sulfuré a la propriété de noircir l'or et l'argent, et surtout de tuer son homme comme ferait un coup de sang.
      
    C'est l'odeur des égouts qui ont été négligés depuis longtemps. — L'odeur putride, qui est rare, se trouve cependant dans toute sa pureté à l'embouchure de l'égout de l'abattoir du Roule. — L'odeur forte, repoussante et fétide domine au Gros-Caillou , dans les rues de l'Oursine, de Croulebarbe, au faubourg Saint-Denis. Il y a encore une septième classe d'odeurs, qu'on peut appeler odeurs spéciales. Ainsi l'égout Amelot c'est la vacherie et l'urine des animaux ; la rivière de Bièvre exhale une douce odeur de tan qui est le serpolet de ces rivages ; l'égout de la Salpêtrière réunit à lui seul le plus horrible assemblage de toutes ces douces odeurs.
     
     
    Mais en fait d'odeurs fades, putrides, repoussantes, variées ; en fait d'ammoniaque et d'hydrogène sulfuré, que dirons-nous donc du grand égout où se décharge la voirie de Montfaucon, dans laquelle voirie on apporte, bon an mal an, quatre cent quatre-vingt-dix-huit mille sept cent cinquante bouches de vidanges, formant ensemble un million cent quatre-vingt-dix-sept pieds cubes de matières fécales ?
      
    Dans cet aimable lieu, le liquide se sépare du solide et s'en va se perdre dans le grand égout de la rue Lancry, non sans couvrir d'un épais nuage les faubourgs Saint-Denis et Saint-Martin.
     
    Or, les égouts, ces tristes réceptacles de tant d'odeurs nauséabondes et mortelles, Paris a trop peu d'eau pour les laver et pour les assainir ; il faut que des hommes descendent, au péril de leur vie, dans ces voûtes étroites, pour balayer le sable et la boue qui les obstruent. Il faut pourtant bien que vous sachiez comment cela se fait, vous autres heureux de ce monde, qui ne voyez que le ciel et la terre, et qui mourriez d'effroi s'il vous fallait descendre dans les entrailles infectes de la belle ville que vous habitez.
     
    Le malheureux que la faim condamne à ce travail, descend dans l'égout, armé d'une longue planche au bout d'un bâton. Il rencontre d'abord une boue liquide, et tant que la boue est liquide, il la pousse devant lui, avec un grand râteau. Si la boue résiste, on fait une digue au bout de l'égout, l'eau qui monte a bientôt rendu à cette boue compacte toute sa limpidité. Quand la boue est enlevée, reste le sable.
     
    Ce sable qui provient du pavage des rues ou de l'inondation, est enlevé à l'aide de seaux et de poulies. L'asphyxie ou tout au moins l’ophtalmie est au fond de ce sable, qui a gardé traîtreusement toutes les émanations de l'ammoniaque. Et voilà à quel prix vous n'avez pas la peste tous les dix ans!
     
    Cependant on demande ce que deviennent les immondices que charrient incessamment tous les égouts de cette immense ville ? Il faut bien vous le dire, ces immondices se rendent, tout infectés et tout chargés de leurs odeurs, dans la Seine, cette fière rivière où s'abreuvent chaque jour huit cent mille individus.
      
    Vous frémissez ! Vos pères ont eu peur bien avant vous : une ordonnance du prévôt de Paris en 1348, etunédit du roi Jean, de 1356, défendaient aux habitants de Paris de jeter leurs immondices sur la voie publique, en temps de pluie, de peur que l'eau ne les entraînât à la rivière. 
      
    Une autre ordonnance du prévôt des marchands défend, sous peine de soixante sous d'amende, de jeter dans la Seine aucune boue ou fumier. Le règlement du 27 juin 1414 ordonne aux chirurgiens de porter le sang des personnes qu'ils auront saignées dans la rivière, au-dessous de la ville. Un arrêt du parlement du 21 juin 1586 condamne au fouet un valet du bourreau qui avait jeté des matières fécales dans la rivière.
     
    Nous sommes de plus intrépides buveurs d'eau que les Parisiens des siècles passés ; nous jetons dans notre rivière tout ce qu'on y peut jeter, cependant nous nous appelons sans façon des hommes civilisés ! et nous nommons nos pères des barbares.
     
    Mais il ne s'agit pas de nous, il s'agit des malheureux qui, cachés dans les fanges de la ville, travaillent incessamment à l'assainir. A peine descendus dans le cloaque immonde, ils sont saisis à la tête d'une vive douleur. La bouche se dessèche et devient brûlante comme elle le serait après huit jours d'une horrible fièvre ; à peine plongés dans cette boue infecte, leur peau devient sanglante, elle se couvre ensuite d'une croûte épaisse, une horrible infiltration purulente est établie dans ces tristes cadavres
     
    Cependant, chose étrange ! Ces malheureux qui ne gagnent que deux francs par jour, sont attachés à cette triste profession comme si elle était la plus belle du monde. Non-seulement ils l'exercent sans dégoût et sans fatigue, mais encore avec joie. Ceci est un des mystères de la toute-puissance d'attraction qui s'établit entre tous les malheureux. Ces pauvres diables, séparés du monde, habitués à s'aimer, à se plaindre, à se secourir, à se sauver les uns les autres, ne voient rien au-delà de l'égout dans lequel ils vivent. La grande cité parisienne les foule aux pieds de ses chevaux, elle n'a pour eux que des excréments et de la boue; peu leur importe ! […]
     
    Mais cependant, qu'est-il besoin d'aller chercher si loin ou si bas des égouts et des cloaques? Chaque maison de Paris ne porte-t-elle pas dans son sein son égout et son cloaque ? L'histoire des fosses d'aisance n'est pas moins digne d'intérêt que toute autre histoire de ce genre. Autrefois, la fosse d'aisance laissait couler tout ce qui pouvait s'échapper dans les nappes d'eau environnantes ; aujourd'hui, c'est une citerne imperméable qui garde tout ce qu'on y jette. Autrefois, les lieux à l'anglaise étaient un luxe, c'est presque une nécessité aujourd’hui. Autrefois, le bain à domicile était une espèce de viatique médical ; aujourd'hui, le bain à domicile est une habitude, c'est autant d'eau pour les fosses d'aisance ; vous croyez qu'il n'y a là dedans rien qui doive inquiéter ? Voici ce qui doit arriver inévitablement. Plus on jettera d'eau dans les fosses d'aisance, et plus souvent il les faudra vider, et plus souvent il faudra payer la vidange, et plus vous verrez les loyers renchérir. Il y a dans les fosses d'aisance, tout simplement, une chose que du reste on trouverait partout aujourd'hui, une révolution. »

    Jules Janin, « Les égouts », La Revue de Paris, t. 34 , 1836.
      
      
      
      
      
      
      
      
     
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