• Les PIERRES FATALES

     

     

    Les Pierres Fatales

     

    Symbolisme des joyaux. - Le langage des pierres précieuses. - Tragique histoire du diamant bleu.

    - Le « Sancy » et le « Kohinoor ». - Un roi qui n'était pas superstitieux.

     

     

    On a raconté que le diamant bleu, connu sous le nom de diamant de Hope, se trouvait dans le Titanic et j'imagine que les gens superstitieux ont dû accueillir cette nouvelle sans trop de regret.
    Le diamant de Hope, en effet, passe pour être une de ces pierres fatales qui portent malheur. Le naufrage du paquebot géant de la White Star Line serait donc son dernier méfait. Englouti désormais dans les abîmes de l'Atlantique, le diamant bleu aurait terminé sa carrière maléfique, carrière singulièrement remplie, comme nous le verrons tout à l'heure.

    Dès la plus haute antiquité, les hommes ont attribué aux pierres précieuses des influences diverses. Ils ne se sont pas contentés de leur faire parler un langage symbolique : ils leur ont accordé tantôt des vertus, tantôt un pouvoir de maléfique ; ils en ont fait tour à tour de bonnes amulettes ou de funestes talismans.

      

    Les Anciens croyaient même à la « lapidothérapie ». Certaines pierres avaient, prétendaient-ils, le pouvoir de guérir certaines maladies. Exemple : pour déshabituer les pochards de l'ivrognerie, on leur suspendait au cou une améthyste. Il parait que le remède agissait en ce temps-là.

      

    Du moins, Dioscoride l'assure-t-il. Je doute qu'il ait gardé aujourd'hui son efficacité.

      

    Vous auriez beau attacher toutes les améthystes du monde au col de certains ivrognes invétérés que vous ne les empêcheriez pas de succomber aux charmes de l'alcool.
    Les pierres avaient toutes, comme les fleurs, leur sens symbolique ; elles possédaient, en outre, chacune leur pouvoir particulier, leur influence sur l'âme ou sur la destinée des personnes entre les mains desquelles elles se trouvaient.

      

    La cornaline induisait à la mélancolie ; l'onyx était également symbole de tristesse.

    Au contraire certaines agates rouges avaient la propriété de chasser les pensées mauvaises et les idées noires.

    La sardoine faisait naître l'amitié entre hommes et femmes ;

    La sardonyx inspirait la chasteté et la pudeur à qui la portait.

    L'oeil-de-chat. donnait santé, richesse et longue vie ;

    le jaspe procurait l'éloquence, on l'offrait aux avocats et aux prédicateurs.

      

    Le corail détournait du meurtre, préservait des mauvais génies, éloignait les terreurs paniques, il chassait les mauvais rêves et enlevait aux enfants toutes craintes nocturnes, il apaisait la tourmente et la fureur des vagues. Il guérissait, par surcroît, les maladies d'yeux.

      

    L'ambre: avait également une influence thérapeutique : c'était un remède préventif contre le goître ; on l'employait contre la surdité et aussi contre l'obscurcissement de la vue.
    La croyance populaire, d'ailleurs, attribue à la plupart des pierres ou des matières précieuses, dont on fait des bijoux, un heureux effet sur la vue. On gardait autrefois, au château de Vériville, dans l'Isère, un diamant qui guérissait de la cataracte.

      

    De cent lieues à la ronde on venait lui redemander la vue.
    L'aigue-marine apportait l'espérance dans le malheur; le béryl donnait à la femme le pouvoir de se faire aimer par l'homme de son choix.

      

    L'hyacinthe passait pour procurer, à qui la possédait, tous les honneurs terrestres.

      

    La malachite était le symbole de la tranquillité ; elle préservait des procès et donnait le succès dans les affaires.

    D'autres pierres encore, l'opale, le saphir, la topaze étaient regardées nomme des porte-bonheur.
    Plus rares étaient celles auxquelles la croyance populaire attribuait une influence funeste.

      

    Les pierres n'étaient maléfiques que par exception ; et le fait que le diamant de Hope a conquis la triste renommée que l'on sait, ne veut point dire pour cela que tous les diamants bleus soient des jeteurs de mauvais sorts
    Mais l'histoire de cette pierre est, en effet, liée à une telle suite de calamités qu'on ne saurait s'étonner de la fâcheuse réputation que le diamant bleu a conquise, par le monde.

    * **
    Il y a exactement deux cent quarante- quatre ans que le diamant fatal fit son entrée en Europe. C'est en 1668 que le célèbre voyageur Tavernier le rapporta des Indes avec un certain nombre d'autres pierres précieuses qu'il vendit à Louis XIV pour la somme de trois-millions. Le diamant bleu avait été trouvé dans les mines de Golconde.
    Il commença par porter malheur à l'homme qui l'avait rapporté. Peu de temps après son retour Tavernier que son commerce de pierres précieuses avait fait très riche perdit toute sa fortune. Quoique vieux déjà, il se remit en route pour la Perse, fut pris par la fièvre et mourut abandonné de tous en ce pays lointain.

      

    Le roi Soleil ne garda pas pour lui le diamant bleu. Il l'offrit à Mme de Montespan, Or, du jour où la favorite se para du joyau fatal, elle commença de perdre la faveur du roi.

    Cependant, l'influence funeste du diamant bleu n'est pas encore marquée par des catastrophes. Louis XIV fait monter la pierre dans un chaton qu'il porte au-dessus de son jabot ; le régent Philippe d'Orléans la porte de même.

      

    Louis XV, en 1749, commande au bijoutier Jacquemin cette fameuse décoration de la Toison d'Or qui, à l'inventaire de 1791, fut estimée trois millions trois cent quatre vingt quatorze mille livres. Le diamant bleu fut la pierre principale qui orna cette Toison d'Or. Le « Bien-Aimé » la porta pendant tout son règne sans que la pierre fatale semble lui avoir causé de graves malheurs.

      

    Marie-Antoinette la fit détacher de la Toison d'Or et la porta. On assure même que la princesse de Lamballe, séduite par l'éclat du diamant, demanda à la reine de le lui prêter et s'en para quelquefois. Or, Marie-Antoinette périt sur l'échafaud et la princesse de Lamballe fut massacrée par la populace révolutionnaire.

      

    La vente des diamants de la couronne ayant été décrétée par l'Assemblée, en 1792, les joyaux furent transportés au Garde-Meuble, rue Saint-Florentin. Mais. dans la nuit du 16 au 17 septembre, des voleurs pénétrèrent, au moyen d'échelles de corde, dans la salle du premier étage où ils étaient enfermés, et, après avoir crocheté les armoires, s'emparèrent des plus belles pièces du trésor.

      

    Le diamant bleu était parmi les pierres volées. Il tomba entre les mains d'un receleur nommé Cadet Guyot, qui l'emporta à Rouen, puis de là, en Angleterre.

      

    Pendant près de quarante ans on perd la trace de la pierre fatale. On la retrouve alors chez un diamantaire d'Amsterdam, qui l'achète pour la retailler.

      

    Ce négociant, nommé Fals, a un fils, gredin de la pire espèce qui, un beau jour, vole à son père les plus belles pièces de sa collection et s'enfuit. Le père Fals meurt de chagrin ; et le fils, traqué par la police, n'a d'autre ressource que de se suicider.

      

    La pierre passe, on ne sait comment, à un pauvre diable de Marseillais, nommé Beaulieu, qui meurt de faim avec cette richesse dans sa poche.

      

    Elle échoit ensuite à un Juif, nommé Daniel Eliason, lequel, en 1830, la revend au collectionneur Henry Thomas Hope, dont la famille, par une immunité singulière, la garde sans inconvénient jusqu'en 1901.
    On pourrait croire qu'elle a perdu définitivement sa fatale influence : il n'en est rien. Celle-ci, au contraire, va se manifester plus cruellement que jamais.

      

    Un marchand de Londres, M. Weil achète le diamant bleu pour le compte de M. Frankel, joaillier de New-York. Celui-ci le cède à un courtier français nommé Colot, lequel le revend un million et demi au prince Kanitowski.

      

    Le prince offre le diamant à une artiste des Folies-Bergère, qu'il tue d'un coup de revolver le premier soir qu'elle le porte.

      

    Quand à l'intermédiaire, M. Colot, il devient fou peu peu de jours après cet événement.
    Le propriétaire suivant, un joaillier grec du nom de Montharides, tombe dans un précipice avec sa femme et ses deux enfants.

      

    Le diamant est alors rapporté à Paris et acheté au mois de mai 1908 pour le compte de la Cour ottomane.
    Abd-ul-Hamid le confie, pour le faire polir, à un certain Ibn Sabir.

      

    Cet homme, faussement accusé de tentative de vol, est bâtonné et jeté en prison. Un gardien veille sur le diamant : on le trouve étranglé. Un eunuque, Kouloub bey, lui succède : il est pendu par la foule pendant les troubles de Constantinople. Le sultan lui-même est détrôné et envoyé en exil.

      

    Un riche marchand turc, M. Habib, achète le diamant. Il part pour un voyage en Extrême-Orient et périt dans un naufrage près de Singapour.

      

    On crut même, alors, que le diamant avait disparu avec lui ; mais la pierre fatale était demeurée en France.
    Enfin, en janvier dernier, elle fut achetée par un milliardaire américain pour la somme de 1.500.000 francs. Expédiée à son nouveau propriétaire, elle aurait disparu dans le naufrage du Titanic : et désormais le charme funeste serait définitivement rompu.

     

    ***

    Telle est l'histoire tragique et fatale du diamant de Hope. Ce n'est pas là, d'ailleurs, la seule pierre précieuse célèbre qu'on ait accusée de porter malheur.

      

    Le premier diamant qui fut taillé, le Sancy, eut aussi jadis la réputation d'être un jeteur de mauvais sort. Charles le Téméraire le portait sur lui quand il fut tué à la bataille de Nancy en 1477.

      

    Plus tard, un serviteur, auquel le sieur de Sancy l'avait confié, fut assassiné par des brigands de grand chemin. Henriette de France, fille de Henri IV et femme de Charles Ier d'Angleterre, dont la vie fut une longue série d'infortunes, le posséda et l'apporta en France lorsqu'elle s'y réfugia. Elle fut même forcée de vendre le diamant fameux pour se procurer quelques ressources.

      

    Le Sancy, acheté par le domaine de la couronne, semble dès lors perdre son influence néfaste. Il fut volé en 1792 avec le Régent, le diamant bleu est diverses autres pierres célèbres. Depuis 1829 il figure parmi les joyaux d'une famille princière de Russie.

      

    Autre diamant fatal, le Kohinoor qui, suivant une légende hindoue, condamne tous ses possesseurs à mourir tragiquement. De fait, le Grand Mogol Humayan, son premier propriétaire, fut chassé de ses états et succomba dans l'exil.

      

    De ses descendants qui se léguèrent la pierre néfaste, l'un mourut en esclavage, l'autre en prison ; le troisième eut les yeux crevés. Le vainqueur de ce dernier s'étant emparé du Kohinoor, le porta. Il fut assassiné par son fils. Le diamant passa ensuite dans le trésor des souverains persans puis revint au roi de Lahore qui, il y a environ un demi-siècle, l'offrit à l'Angleterre.

      

      

    La reine Victoria le laissa dormir au fond de son écrin. Mais, Édouard VII, en dépit de la mauvaise réputation du diamant, le fit enchâsser dans le diadème que portait la reine Alexandra le jour du sacre. .
    Edouard VII n'était pas superstitieux....N'est-ce pas là le meilleur moyen de rompre le mauvais sort que la croyance populaire attribue aux pierres fatales?
     

      

    Ernest LAUT.

     

    Le Petit Journal illustré du 5 Mai 1912

     

    http://cent.ans.free.fr/pj1912/pj112005051912b.htm

     

     

     

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