27 Janvier 2013
DICTIONNAIRE GÉOGRAPHIQUE, HISTORIQUE
PAR
A. GIRAULT DE SAINT FARGEAU
1845
MONTMARTRE, Mons Martis, Mons Martyrum, bg Seine (Ile-de-France), arr. et à 7 k. de Saint-Denis, cant. de Neuilly-sur-Seine. *. A 6 k. de Paris pour la taxe des lettres. Pop. 7,082 h.
Ce bourg, situé sur une montagne conique à peu près isolée, remonte à une haute antiquité. Il est assez difficile d'assigner la véritable étymologie de son nom ; la plus vraisemblable paraît être due à un temple de Mars qui aurait existé jadis sur cette butte, appelée Mons Martis dans un poème latin que le moine Albon écrivit en 896 sur le siège de Paris. Deux des plus anciens chroniqueurs, Frédégaire et Hilduin, le nomment Mons Mercurii, d'un temple dédié à Mercure ; enfin d'autres écrivains l'appellent Mons Martyrum, à cause, disent-ils, que ce fut au pied de cette montagne que saint Denis et ses compagnons furent martyrisés.
La montagne de Montmartre était couverte de maisons et formait, dès 627, un village qui fut presque entièrement détruit en 886, pendant le siège de Paris par les Normands. En 978, lors de la guerre que l'empereur Othon II fit à Hugues Capet, celui-ci établit son quartier général à Montmartre. En 1133 Burchard de Montmorency, à qui Montmartre appartenait, le céda à Louis le Gros et à la reine Adélaïde, son épouse, qui y fondèrent une abbaye de religieuses de l'ordre de Saint-Benoît, célèbre tour à tour par la piété et par les dérèglements de ses nonnes. Les Anglais portèrent un grand désordre dans cette maison religieuse. Henri IV y établit son quartier général pendant les guerres de la Ligue, et ses officiers, pour oublier l'ennui du siége de Paris, s'occupaient autant, dit Sauval, de la conquête des nonnes que de celle de la capitale.
Le roi lui-même sut se faire aimer d'une jeune religieuse nommée Marie de Beauvilliers, cousine de Gabrielle d'Estrées, qu'il fit abbesse de Montmartre, lorsque les brillants attraits de Gabrielle eurent effacé du coeur du monarque la douceur et les charmes de la naïve religieuse. Il vécut publiquement avec elle à Montmartre, et les religieuses, à son exemple, ne connurent plus de frein dans leurs dérèglements. Henri IV ayant été obligé de lever le siège de Paris, emmena avec lui sa charmante nonne, et ses officiers, imitant en cela leur prince, conduisirent à Senlis, où ils allaient, les jeunes religieuses, qui ne demandèrent pas mieux que de les suivre. - L'abbaye de Montmartre était la plus belle, la plus riche et la plus renommée des environs de Paris : elle fut détruite en 1794 ; aujourd'hui une belle et vaste maison de campagne s'élève sur son emplacement.
Le bourg de Montmartre est dans une situation remarquable et très pittoresque, sur la montagne de son nom, d'où l'on découvre, dans toute son étendue, la ville de Paris et ses gracieux environs. Cette montagne gypseuse fournit une masse énorme de plâtre et produit à elle seule plus des trois quarts de ce qui est nécessaire pour les constructions. Les carrières forment des galeries extrêmement curieuses, qui méritent d'être visitées.
La butte Montmartre, une des principales hauteurs qui dominent Paris, fut transformée en forteresse en 1814 et en 1815. Le 29 mars 1814 cette hauteur fut défendue par 15 ou 18,000 hommes de troupes françaises, au nombre desquelles étaient les braves élèves de l'école polytechnique, contre les armées des puissances coalisées, conjurées contre Napoléon. Cette petite armée soutint pendant la journée entière l'honneur national contre une supériorité numérique de plus de 40,000 ennemis, et ne se retira qu'après avoir perdu 5 à 6,000 hommes et avoir fait éprouver à l'ennemi une perte beaucoup plus considérable.
On voit à Montmartre, ainsi qu'aux alentours, plusieurs maisons de campagne, quantité de guinguettes et beaucoup de moulins à vent. Entre Montmartre et Saint-Ouen se trouve une glacière artificielle, établie d'après un principe ingénieux.
Montmartre possède un établissement philanthropique digne de figurer à côté des plus célèbres de la capitale, et connu sous le nom d'Asile de la Providence : c'est une espèce d'hospice, placé dans une grande et belle maison, accompagnée d'un vaste jardin, dans lequel on reçoit et l'on entretient cinquante à soixante vieillards des deux sexes. La moitié de ce nombre paye en entrant une modique pension ; les autres sont entretenus gratuitement.
Montmartre a pour annexe le hameau de Clignancourt, qui est situé à l'est et au pied de la montagne. - Son territoire est entouré par ceux des Batignolles-Monceaux, de Clichy-la-Garenne, de Saint-Ouen et de la Chapelle. Au midi il s'étend sur les boulevards extérieurs de Paris, devant les barrières du Faubourg-Saint-Denis, Poissonnière, de Rochechouart, des Martyrs, Pigalle, Blanche et de Clichy. Le village est disséminé sur toute la montagne, mais principalement sur le sommet et sur la pente méridionale jusqu'aux boulevards extérieurs.
Il n'est pas de commune aux environs de Paris qui offre plus de changements et d'améliorations, qui atteste davantage le progrès en tout genre. – Le quartier Montmartre, en face de l'abattoir de ce nom, s'appelle village d'Orcel, parce qu'il fut commencé, il y a environ cinquante ans, par un spéculateur qui se nommait Orcel, et qu'il était alors assez éloigné des autres habitations. - Montmartre s'est non moins accru du côté des barrières Pigalle, Blanche et de Clichy. Là un vaste quartier s'est élevé depuis une dizaine d'années. - L'ancienne partie du village occupe le sommet de la montagne, et s'améliore aussi rapidement par les sages dispositions prises par son embellissement. - Deux places publiques s'ouvrent l'une au sommet, près de l'église, l'autre à mi-côte, près des restes de l'ancienne abbaye. La première s'appelle place du Tertre ; la seconde, place de l'Abbaye. Sur l'un des côtés de celle-ci, le maire, secondé par le conseil municipal, a récemment fait élever la nouvelle mairie, bâtiment considérable et d'une belle apparence.
L
La situation de Montmartre le privait naturellement d'eaux abondantes, par conséquent des avantages nombreux qui en résultent. Il possédait jadis plusieurs sources, qui ont été successivement taries par l'exploitation des carrières. Quelques-unes existent encore sur le revers de la montagne au nord, mais dans un tel état d'appauvrissement qu'elles ne sont plus d'aucune utilité. La compagnie Bourelly a rendu à la commune l'éminent service de lui procurer en abondance, jusque sur les points les plus élevés, les eaux salubres de la Seine, au moyen d'une pompe à feu établie près de Saint-Ouen. Un réservoir, qui reçoit ces eaux refoulées dans des tuyaux d'ascension, les distribue ensuite dans tous les quartiers, soit publiquement aux porteurs d'eau et aux particuliers, soit dans les maisons et à domicile par des concessions et abonnements annuels d'un prix très modéré.
L'église de Montmartre, l'un des monuments les plus curieux du département de la Seine, est du XIIe siècle ; elle conserve encore des traces de son origine, surtout dans quatre colonnes, qu'on a eu la maladresse de peindre au lieu de les laisser dans leur état naturel. Placée au lieu le plus élevé de la montagne, on l'aperçoit de loin et de toutes parts. L'autorité supérieure a profité de cette situation favorable, elle a fait construire sur une partie de l'église une tour et un télégraphe qui, à cette hauteur, peut correspondre avec tous les points d'un immense horizon.
Sur la hauteur on remarque le fragment d'un obélisque, sur la face méridionale duquel était gravée l'inscription suivante :
L'AN 1736 ,
CET OBÉLISQUE A ÉTÉ ÉLEVÉ PAR ORDRE DU ROI,
POUR SERVIR D'ALIGNEMENT
A LA MÉRIDIENNE DE PARIS DU CÔTÉ DU NORD.
SON AXE EST A 2,931 TOISES 2 PIEDS DE LA FACE
MÉRIDIONALE DE L'OBSERVATOIRE.
Cet obélisque était un des quatre-vingt-seize que l'on avait projeté d'élever d'espace en espace dans toute la longueur du méridien de Paris qui traverse la France du sud au nord ; cette ligne, qui passe par l'église Saint-Sulpice, et dont la perpendiculaire est élevée à l'Observatoire royal, a puissamment servi au travail de la carte générale de France. A la latitude de l'Observatoire de Paris , le degré de longitude a été trouvé de 37,568 toises, la minute de 626 toises, et la seconde de 10 toises et demie ; et dans l'hypothèse que la terre est aplatie par ses pôles d'un 187e, ce degré est de 37,822. - Pour la latitude on a trouvé que de Paris à Amiens le degré était de 57,069 toises.
Deux cimetières sont établis dans la commune. L'ancien, situé près de l'église, est fermé depuis longtemps, excepté aux familles des concessionnaires à perpétuité. Le nouveau est ouvert sur le revers de la montagne, au nord. L'un des grands cimetières de Paris se trouve aussi dans la commune ; il est principalement destiné aux cinq arrondissements du nord de la capitale. Il est assis dans l'emplacement d'une ancienne carrière à plâtre. On y voit plusieurs tombes remarquables, entre autres celles de M. Larmoyer, de M. et de Mme Legouvé, de Mlle Volnais, de Saint-Lambert, de Greuze, de M. du Bocage, du maréchal de Ségur, du sculpteur Pigalle, etc., etc.
Montmartre possède l'un des principaux théâtres de la banlieue de Paris ; il est situé au village d'Orcel, en face de l'abattoir, précédé d'une jolie place et d'une petite promenade.
La fête patronale de Montmartre est celle de Saint-Pierre, 29 juin ; on la célèbre le dimanche suivant sur le plateau de la terrasse qui est près de l'église.
PATRIE du capitaine BONSERGENT, l'un des plus valeureux soldats des armées françaises.
Fabriques de tulle, savon vert, toiles cirées, instruments de marine, tapis peints et vernis, encre et produits chimiques. Fonderie de bronze. Maison de santé. Pension pour l'un et l'autre sexe.
Bibliographie.
* Conjectures sur la formation de Montmartre et de la butte de Chaumont près Paris (Mercure, p. 2330, 2339, nov. 1732).
ROBERT DE PAUL DE LAMANON. Description de divers fossiles trouvés dans les carrières de Montmartre près Paris, et vues générales sur la formation des pierres gypseuses, in-4, 1782.
* Représentation d'une chapelle souterraine qui s'est trouvée à Montmartre près Paris, le 12 juillet 1611, comme on faisait les fondements pour agrandir la chapelle des Martyrs, in-fol., 1611.
LÉON (de St-Jean). Abrégé des antiquités de l'abbaye de Montmartre dans le diocèse de Paris (imprimé avec sa vie de saint Denis, in-8, 1661).
PIERRE (de Ste-Catherine, dom). Cérémonial monastique des religieuses de l'abbaye royale de Montmartre-lès-Paris, in-4, 1669.
CHERONNET (D.-J.-F.). Histoire de Montmartre, état physique de la butte, ses chroniques, son abbaye, sa chapelle, ses martyrs, sa paroisse, etc., revue et publiée par M. l'abbé Ottin, in-8, 1843.