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    Le salon pompéien du Chabanais.
    Photo Au Bonheur du jour.

     

     

    «Coiffure excentrique physionomie équivoque» :

     

     

    voilà comment le commissaire de police décrit Alexandrine Jouannet,

    27 ans en 1872, montée à Paris pour y exercer sa profession, après Lyon, Constantinople et Marseille.

     

    C’est noté en pattes de mouche tout en haut du rapport de comparution de ladite jeune personne, modiste à l’origine, prostituée de métier (la passerelle est fort courante à cette époque), qui vient demander l’autorisation de pratiquer en maison close.

     

    Pour être en règle, «il faut s’inscrire comme femme publique auprès du service des mœurs de chaque ville»,

    rappelle Nicole Canet, auteure de cet ouvrage d’enquête sur le célèbre bordel le Chabanais.

     

     

    Aventurière.

     

    Afin de cerner ce que fut la fabuleuse maison close parisienne, la patronne de la galerie érotico-historique Au bonheur du jour (sise en face des anciens locaux du Chabanais, ça ne s’invente pas) et auteure de nombreux ouvrages sur la prostitution des deux sexes ou sur l’histoire des bordels parisiens,

    a consulté, gratté, fouillé les archives de la police et des

    documents de la famille Jouannet :

     

    Alexandrine, la petite prostituée de chez Clotilde à Lyon, puis chez Dame Quatrefages, dans le Ier arrondissement de Paris, fut la taulière du luxueux Chabanais pendant vingt-deux ans, de 1877 à sa mort en 1899.

     

    Entretenue par un attaché d’ambassade, elle était, plutôt qu’une prostituée, une courtisane, une aventurière.

     

     

    Le plus célèbre bordel de Paris a eu plusieurs vies, jusqu’à sa fermeture en 1946 par une autre femme, Marthe Richard.

     

    D’Alexandrine, dite aussi Kelly, à Marie-Jeanne Lafarge (de 1900 à 1920), de Marguerite Jalabert (1920 à 1941, avec le très fameux Maurice, son malfrat de mari) à la fascinante Doriane (entre 1941 et 1946 ; on voit dans l’ouvrage une photo de groupe qui présente ces dames au salon en 1941…

     

    à l’intention des officiers allemands),

     

     

    on parcourt le livre comme une balade de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe : avec les photos de Paris en noir et blanc d’Eugène Atget, les portraits sépia des célèbres prostituées du lieu, la très belle Margot, l’élégante Irma,

     

    Marthe, un peu moins chic,

     

    mais très efficace sous-maîtresse, des clichés des chambres chargées de tentures et de miroirs et de la fameuse grotte de l’entrée, qu’Alexandrine a pu faire installer après le départ du marchand de vins qui lui était hostile… Toute une histoire.

     

     

    La célèbre Margot, au Chabanais.

    La célèbre Margot. Photo Au bonheur du jour

    «Le clitoris de Paris».

     

    On retrouve des photos érotiques de l’époque, une belle lettre de Casque d’or-Signoret, qui a travaillé au Chabanais, des lettres de protestation d’un médecin quand Alexandrine aménage son bordel, dont on voit les plans et les travaux sur les documents récupérés par Nicole Canet.

     

    Brothel in Paris:

    On lit, tirées des archives de la police ou des mœurs, des lettres de voisins outrés qu’une maison de tolérance s’installe dans un immeuble bien fréquenté au 12 de la rue du Chabanais.

     

    On peut toujours y entrer, voir l’escalier mythique, les grilles de l’ascenseur, imaginer les étages de stupre et de volupté dans des chambres orientale, japonaise, espagnole, Louis XV, mauresque :

     

    la Jouannet ne lésina pas sur la dépense

     

    (jusqu’à l’équivalent de 100 000 euros pour des rideaux ornés de violettes), engageant des sommes faramineuses, qui se comptent en millions d’aujourd’hui, pour la décoration et l’ameublement.

     

    Alexandrine pratiquait aussi des tarifs réservés à une élite, pas de ceux des bordels plus populaires :

    200 euros la bouteille de champagne,

    1 000 euros la chambre,

    2 000 la passe.

    The Sphinx tub in the Le Chabanais brothel in Paris, commissioned by King Edward VII.   “He would sit in this most incredible bath that had a swan-necked mythological figure with a lady of his choice, not with water in it, but with champagne in it, and I guess they would both sit there and listen to the sound of his father spinning in his grave.” ~Matthew Sweet, author of Inventing the Victorians,:

    Elle habillait ses filles (25 en moyenne) de tenues orientales, recevant politiques, écrivains (Loüys, Maupassant, entre autres) et têtes couronnées. Dont le prince de Galles, grand habitué des lieux,

     

    Le Chabanais | Atlas Obscura:

    qui louait un appartement près de l’avenue de l’Opéra - avenue surnommée par un aristocrate anglais «le clitoris de Paris» -,

     

    se régalait d’y retrouver ses pensionnaires préférées, offrait cadeaux et bijoux et se fit construire un siège d’amour à deux étages dont on peine aujourd’hui à imaginer l’utilisation, souligne l’auteur, amusée.

     

     

    On n’a aucune photo d’Alexandrine, alias Kelly,

     

    madame Darcourt, ou encore Fatma, l’icône du Chabanais.

     

    On sait juste qu’elle s’habillait très chic, fumait et buvait, souffrait de fréquentes sciatiques.

     

    Ainsi est racontée l’histoire de ce Chabanais :

     

    en notes de police, lettres de voisinages, rapports jaunis et photos noir et blanc, mobilier et objets olé-olé qui furent vendus aux enchères en 1951.

     

    Toute une époque qui n’a pas fini de fasciner.

    Emmanuèle Peyret

     

    Nicole Canet Histoire de la célèbre maison close le Chabanais 1877 1946 Editions Nicole Canet, galerie Au bonheur du jour 365 pp., 79 €.

     
     
     
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    Eugène Atget : bordel, avenue de Suffren

     

    Une bande d’assassins a été arrêtée hier

    Le “106” était un bordel, ou “maison de tolérance”, de troisième classe, spécialisé dans la clientèle de l’École militaire qui est voisine.

     

    L’avenue de Suffren était alors assez misérable.

    Le 5 février 1942, ce bordel est la cible d’un attentat de l’Organisation Spéciale (OS) contre l’armée allemande, sous la direction de Pierre Georges (dit colonel Fabien).

    Datation de la prise de vue : 1910-1911.

     

    http://www.paris-anecdote.fr/Quelques-maisons-de-rendez-vous.html

     JPEG - 97.1 ko

    Édouard Geslin, qui dirige, 106, avenue de Suffren, un abri très hospitalier, venait, le 12 mai, au matin, annoncer à la police qu’un de ses clients était mort subitement chez lui, au cours de la nuit.

     

    Comment ne pas ajouter foi à la déclaration d’un commerçant connu qui, outre son établissement, a un domicile particulier confortable, 20, avenue Lowendall.

    On constata le décès du client fâcheux, un nommé Louis Urvoas, domicilié 115, rue de Javel. Le permis d’inhumer fut délivré par le médecin de l’état civil, mais, lorsque les employés des pompes funèbres vinrent pour procéder à la mise en bière, l’un d’eux eut la curiosité de retourner le mort et constata qu’il avait sept coups de couteau dans le dos.

     

     

    Les inspecteurs du sixième district eurent tôt fait de s’emparer des coupables.

    Édouard Geslin, le patron du 106, fut, naturellement, coffré, puis, on arrêta successivement :

    Taine, dit le Boxeur, dix-sept ans, rue Durantin, 16 ;

    Vasseur, ditTotor, dix-huit ans,

    charpentier 21, avenue de Vaugirard-Nouveau ;

    Sapience ditLesène, dix-huit ans, 115, rue de l’Abbé-Groult ;

    Verrier, dit Kiki, dix-huit ans, 20, rue Durantin ;

    Germaine Harroué, seize ans, 32, rue Lacordaire ;

    Louis Martin, vingt-deux ans, déserteur du 102e d’infanterie ;

    Georges Vasseur, Georges Durand, rue Dombasle, 24.

     

     

    Interrogés séparément, les bandits finirent par avouer l’assassinat d’Uuvoas, au 106 de l’avenue de Suffren, puis une tentative d’assassinat accomplie, le 17 mai, à 8 h. 30 du soir, boulevard Victor, sur M. Jean Queverdo, quarante-deux ans, rue Camille-Desmoulins, 72, qui fut poignardé et dévalisé ; une autre agression fut commise par eux, le 18 mai, près de la tour Eiffel, sur

     

    M. Georges Despavène, ingénieur, rue Desaix, poignardé et dévalisé.

    Enfin, un chauffeur et un autre passant furent encore, quai d’Orsay, les victimes de ces bandits.

    [Le Journal, no 9369, 22 mai 1918.]

    Maisons closes

    DITES DE TOLÉRANCE

    Et vulgairement appelées :

    Bordels, Boxons Lupanars ou Claques

     

     

    Il en existe environ cinquante à Paris, disséminées dans les vingt arrondissements.

    Quelques-unes sont luxueuses d’autres ne sont que confortables ; enfin, il en est qui sont d’infects taudis.

    Le nombre des femmes dans chaque Maison close varie entre huit et quinze ; rarement cette quantité est moindre ou plus grande.

    Dans les Boxons où ne fréquentent que les viveurs riches, les femmes sont jeunes, belles et assez intelligentes, pour qu’avant et après…

     

    l’œuvre de chair, les michés ne s’ennuient pas près d’elles.

    Il est même certaines femmes, dans ces maisons de premier ordre, qui pianotent gentiment et savent mieux roucouler que beaucoup de cabotines des petits beuglants.

     

     

    Les maisons de second ordre offrent également à leur clientèle un choix de femmes fort agréables.

     

     

    Dans les Claques des quartiers éloignés du Centre, les femmes sont en général usées par vingt années de Bordels de France, des colonies ou de l’étranger.

     

     

    Les rares créatures jeunes et fraîches (?) que l’on y trouve n’ont rien d’appétissant pour un monsieur délicat — elles sont grossières, « mal embouchées », et leur manière de s’offrir, au lieu de tenter, cause un réel dégoût.

    Les clients ordinaires de ces Lupanars de bas étage sont des soldats en goguette et des ouvriers ivres qui, pauvres et sans goût, trouvent des charmes à ces gotons qu’ils « s’envoient » pour quarante « pélos » — deux francs.

     

     

    J’ai vu dans une de ces maisons de la dernière catégorie une pauvre fille, si horriblement grêlée, que ses compagnes, sans pitié, appelaient poêle à marrons, à cause des trous dont son visage était rempli.

     

     

    Une autre femme, dans le même Bordel, avait des varices !

     

     

    Ailleurs, une femme d’au moins cinquante ans, était borgne !

     

     

    Dans quelques Maisons closes du Centre, si quelques femmes ne sont pas, de visage, des beautés pures, elles sont du moins bien bâties, ont des croupes et des tétons plantureux, sont saines et bien portantes.

     

     

    On ne peut être bien fixé sur l’âge des femmes « en Maison »,

     

    car s’il en est qui, étant mineures, ont pu y être introduites grâce de faux états civils (Voir le chapitre Traite des Blanches), il en est d’autres qui, par le même procédé, passent pour n’avoir que vingt-trois ans, alors qu’elles en ont bel et bien trente.

     

     

    À cela rien d’étonnant, puisque la femme honnête elle-même,

    à propos de son âge, ne craint pas de mentir !

     

     

    Quand on entre dans un Lupanar qui n’est que confortable, on croirait pénétrer dans une salle de café où toutes les dames sont en peignoir et tête nue, — en cheveux, comme elles disent plus volontiers.

     

     

    Dans un Bordel chic, l’arrivant est introduit dans un salon tout à fait select.

    Sur un guéridon sont des albums contenant les photographies des dames disponibles.

     

     

    Vous pouvez choisir et demander Mlle Bertha ou Mlle Georgette.

    Beaucoup de messieurs préfèrent qu’on leur présente à la fois toutes les dames inoccupées dans le moment.

     

     

    C’est alors que la maîtresse ou la sous-maîtresse passe de chambre en chambre et prononce, à chaque porte qu’elle entr’ouvre, le fameux :

     

     

    — Toutes ces dames au salon !

     

     

    Alors le « client » qui les a demandées voit arriver une dizaine de superbes filles de tout poil, de toute taille, souriantes, jouant de l’œil, se rendant par mille manières gracieuses et désirables.

     

     

    Il se peut que le monsieur et la belle qu’il a choisie s’enferment immédiatement dans une chambre et que les autres femmes retournent à leur poste.

     

     

    Mais, le plus souvent, sollicité par toute la bande à la fois,

     

    le « miché chic » reste au salon et et offre des consommations à toute la bande.

     

     

    Là ce n’est pas un simple bock que l’on boit, mais des liqueurs fines et, surtout, du Champagne.

     

     

    D’ailleurs, il n’est pas rare que des gentlemen ne viennent là que pour voir, boire et… dire — pas faire — des… cochonneries, car, selon le chansonnier Bachmann

     

    « Que serait la vie si l’on n’en disait pas ? »

    Vous aurez peut-être la curiosité de visiter des Boxons de toutes les catégories.

     

     

    Cela vous sera très facile, mon cher lecteur, car je vais vous les indiquer tous, ou à peu près, depuis le plus « smart » jusqu’au plus « moche ».

     

    Dans les faubourgs, on appelle les Bordels par leur numéro, et l’on dit Le 25, le 73, etc.

     

     

     

    Les Maisons closes des rangs supérieurs portent le nom de la rue où ils sont. On dit, par exemple Le Chabanais (rue Chabanais) ;

    le Taitbout (rue Taitbout).

    LE CHABANAIS, situé près la Bibliothèque nationale (rue Chabanais, no 12), est, sans contredit, le Bordel extra-chic de Paris.

     

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    La célèbre Margot. Photo Au bonheur du jour

     

    La spécialité de cette Maison est d’offrir à ses clients des femmes de différentes nationalités.

     

    Le salon pompéien du Chabanais.

    Ces femmes, Françaises, Italiennes, Anglaises, Turques ou Japonaises, sont jolies chacune à leur manière et leurs façons d’agir n’ont rien de répugnant.

     

    Afficher l'image d'origine

     

     

     

    Ce Bordel, fort simple à l’extérieur, est, intérieurement, d’une richesse inouïe, — et très curieux.

     

     

    Ce n’est pas là que vont faire la noce les employés à deux cents francs par mois !

    La Maison est chic, mais chère !

    Aussi, comme le chantait Plébins à l’Eldorado « N’y a qu’les rupins qui peuv’nt s’payer ça ! »

    Si j’ai pu dire du Chabanais, dont la réputation est européenne, qu’il est le premier des bordels, c’est que je n’ai pas à craindre de contradiction, mais je n’assignerai pas de rang aux autres Maisons closes de marque, au moins entre elles, les tenanciers pouvant ne pas être satisfaits de mon appréciation et, jaloux, me… traîner aux gémonies, ce qui serait pour moi fichtrement vexant, pas vrai ?

    Je classerai donc dans la même catégorie les maisons se valant à peu près, ne voulant être nuisible pour personne et tenant à ne pas me départir de mon habituelle impartialité.

    Donc, j’estime que vous visiterez avec un égal contentement, après le Chabanais, les Maisons closes jouissant à Paris d’une vogue qui s’agrandit en vieillissant, et situées :

    56, RUE TAITBOUT, près la Trinité.
    4, RUE JOUBERT, Chaussée d’Antin.
    14, RUE MONTHYON, près les Folies-Bergère.
    8 et 10, RUE D’AMBOISE, près l’Opéra-Comique.
    6, RUE DES MOULINS, près la Fontaine Molière.
    11, RUE THÉRÈSE, près la Fontaine Molière.
    12, RUE FEYDEAU, près la Bourse.
    2 et 5, RUE DE LONDRES, près la Trinité.
    6, RUE DES MOULINS, près le Square Louvois.
    92, RUE DE PROVENCE, près la gare Saint-Lazare.
    16, 22 et 30, RUE LA FERRIÈRE, près le Bal Tabarin.

    D’autres claques très « courus », où vont se divertir de nombreux provinciaux et étrangers de passage à Paris, sont situés :

    25, RUE Ste-APPOLINE, près la porte Saint-Denis.
    32, RUE BLONDEL, près la Porte Saint-Denis.
    39, RUE SAINTE-ANNE, près la Bourse.
    131, RUE D’ABOUKIR, près la Bourse.
    42, RUE MAZARINE, près le Pont-Neuf.
    5, RUE DE QUATRE-VENTS, près Saint-Sulpice.
    9, RUE J.-J. ROUSSEAU, près la Bourse du Commerce.
    8, RUE COLBERT, près la Bibliothèque Nationale.
    37, RUE DES PETITS-CARREAUX, près le Th. du Gymnase.

    Vous, mon cher lecteur, qui êtes un gentleman, si vous visitez les Maisons de tolérance inscrites ci-dessous, ce ne peut être pour y prendre du plaisir, mais seulement pour vous documenter. À ce titre, elles valent d’être vues.

    Les « pierreuses » fatiguées du Trottoir, lassées de faire la navette de la Chapelle à Charonne, de la Bastille à l’Hôtel-de-Ville, de la Tour Saint-Jacques à la Porte Saint-Martin, trajet qu’elles firent dix heures par jour pendant dix ans et plus, sont entrées dans ces boxons pour se reposer, comme des ouvrières éreintées vont au sanatorium se retremper un peu.

    Les mieux conservées sont les plus demandées, et elles… marchent jusqu’à dix, quinze et vingt fois, les samedis soirs, jours de paye, où les ouvriers avinés viennent en grand nombre… gaspiller le fruit d’une semaine de travail !

    164, BOULEVARD DE LA VILLETTE,
    214, BOULEVARD DE LA VILLETTE,
    226, BOULEVARD DE LA VILLETTE, non loin des Buttes Chaumont.
    70, BOULEVARD DE BELLEVILLE, non loin de la place de la République.
    24, RUE SAINTE-FOY, près la porte Saint-Denis.
    10, RUE DE FOURCY, près les Halles.
    15, RUE JEAN-BEAUSIRE, près l’Arsenal.
    23, RUE MAÎTRE-ALBERT, place Maubert, quart. latin.
    112, RUE DE MONTREUIL, non loin de la Bastille.
    19, RUE TRAVERSIÈRE, non loin de la Bastille.
    2, PASSAGE BESSIÈRE, au bout de l’avenue de Clichy.
    7, RUE JOLIVET, près la Gare Montparnasse.
    17, RUE JOLIVET, près la Gare Montparnasse.
    162, BOULEVARD DE GRENELLE, près l’École Militaire.
    22, AVENUE LOWENDAL, près l’École Militaire.
    106, AVENUE DE SUFFREN, près l’École Militaire.
    106, BOULEVARD DE LA CHAPELLE, près la Gaîté Rochechouart.

    Dans une des vieilles rues voisines de l’Hôtel-de-Ville et dont je me suis occupé d’autre part (Voir chapitre Bas-fonds), est situé le pire des bordels que j’ai visités.

    Le soir où je pénétrai dans ce… — plutôt cloaque que claque, — une douzaine d’individus étaient là, gueulant, — dég… aussi, — fumant du tabac puant, acheté à la Foire aux Mégots (Voir Bas-Fonds), pelotant d’épouvantables maritornes et tenant les plus orduriers propos.

    C’étaient, pour la plupart, des « Mendigots » dépenaillés, hirsutes, crasseux et remplis de toutes les vermines, se grattant à toute minute et écrasant des petites bêtes, — dites parasites, — tout en bécottant des « poules » de cinquante ans, décharnées, édentées, dont mon confrère Alphonse Gallais, qui m’accompagnait, put dire, non sans quelque raison :

    — Viande à Macquart !

    (Macquart enlève les animaux crevés sur la voie publique.)

    En effet, ces malheureuses avaient l’air si délabrées que nous nous demandâmes comment des hommes, même sales et repoussants, pouvaient, en présence de telles créatures, arriver à consommer l’acte charnel, but évident de leur venue en ce lieu… d’allégresse et d’amour !!!

    Pauvres vieilles femmes !

    N’inspirent-elles pas plus de pitié que de mépris ? Si j’étais millionnaire, — sans blague, — je fonderais l’Œuvre des Invalides de la Prostitution, car c’est surtout, — à ce qu’il me semble, — dans cet état-là qu’il doit être pénible de travailler encore, à cinquante ans sonnés.

    Une des « Viande à Macquart » dont j’ai parlé avait encore dans la physionomie quelque chose d’assez noble, et, dans les yeux, qui durent autrefois être très beaux, des lueurs d’intelligence.

    Il se peut qu’acculée à la pire misère, ne trouvant plus à travailler honnêtement, cette femme se soit réfugiée là pour ne pas mourir de faim !

    Quelle torture, alors, pour elle, que d’être obligée de souffrir les ignobles contacts d’hommes ivres, dégoûtants, brutaux et grossiers !

    À sa place… j’aimerais mieux me jeter dans la Seine.

    Mais les plus malheureux, les plus affligés, aiment quand même la vie, et c’est en se vautrant dans la fange qu’ils se donnent parfois l’illusion du bonheur !

    La belle XXX, pensionnaire du TAITBOUT, voulut bien, un soir, me donner moult renseignements dont j’avais besoin.

    Au moment où je la remerciais avant de me retirer, elle me demanda si je n’avais pas quelque chose à lui offrir en souvenir de moi.

    Je me fouillai et trouvai dans ma poche quelques exemplaires d’une chanson de mon crû.

    J’en donnai un à XXX, qui l’ayant regardé, s’écria, étonnée :

    — Tiens ! tu connais Machin ? (Machin, c’était le nom de l’éditeur, imprimé au bas de la couverture).

    — Il y a longtemps, dis-je.

    Alors, la belle XXX ajouta :

    — Moi aussi.

    — Tu as donc été dans la musique ? lui demandai-je, ou bien. Machin est-il… ton client, ici ?

    — Es-tu discret, d’abord ?

    — Oh ! très discret, je t’assure.

    — Eh bien, ne dis rien de moi à ce sujet, tais mon nom, et appelle Machin M. Untel, mais raconte ce que je vais te dire, ça amusera tes lecteurs.

    — Je t’écoute.

    — Machin, éditeur de musique, officier d’académie, notable commerçant, est en même temps… patron de bordel.

    Je sursautai :

    — Pas possible !… Tu ne te trompes pas ?… Je n’en savais rien.

    — Parbleu ! tu penses bien qu’il ne s’en flatte pas ; il se contente d’empocher le « beau pognon » que ça lui rapporte.

    — Comment l’as-tu appris ?

    — J’ai travaillé dans sa boîte.

    — Laquelle ? La maison d’édition ou la maison close ?

    — Tu blagues ! Au boxon. Est-ce que je sais quelque chose dans la musique, moi ?

    ― Et alors ?

    — Alors, mon vieux, tu peux te renseigner, tu verras que je ne mens pas : Machin est le patron du bordel de la rue…

    (J’ai promis d’être discret, mais il s’agit d’un établissement hospitalier très connu.)

    —… J’y ai travaillé pendant trois ans, ajouta la belle XXX, et comme j’étais très bien, — oh ! mais bien, bien, bien, — avec la maîtresse, c’est elle-même qui m’a tout dit.

    Or, j’ai vérifié, — ce ne fut pas facile, — et, à mon tour, je peux certifier ceci :

    M. Machin, officier d’Académie, éditeur de musique, la tête d’une maison fort connue depuis un grand nombre d’années, dirige également une maison close ! Tandis que, dans son bureau, il reçoit les auteurs et compositeurs, sa femme (je ne sais si elle est légitime), qui est son alter ego, s’occupe avec beaucoup de tact, — dit-on, — du. poulailler.

    « L’argent n’a pas d’odeur, » doit se dire M. Machin, et il s’assure, par le cumul des professions lucratives, une vieillesse heureuse ! Il sera un jour maire de son village, et Mme Machin le secondera encore quand il devra couronner des rosières !

    Et je ris, moi, en achevant ce curieux chapitre en tête duquel j’aurais pu écrire :

    Musique, palmes violettes et prostitution ! — titre ronflant et sensationnel !

    [Levic-Torca (Victor Leca). Paris-noceur. Paris, J. Fort, 73, Faubourg Poissonnière, 1910.]

     

     

     

     http://vergue.com/post/610/Maison-close-106-Suffren

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     Les maisons closes sont liées à l'histoire de Paris, entre Belle Epoque et premières décennies du XXe siècle.

     

     

    Lieux incontournables des nuits parisiennes, chambres des premières initiations comme salons qu'il convenait de fréquenter, où les clients les plus blasés venaient en quête de ce qui pourrait encore les surprendre, théâtres de tous les fantasmes et palais irréels accueillant leurs visiteurs dans un univers où tout semblait n'être que luxe, calme et volupté, les maisons closes ou de tolérance,

      

    ou encore bordels et lupanars jalonnent une topographie du désir parisien: d'arrondissement en arrondissement, de boulevards en rues discrètes, ces lieux témoignent d'une créativité sans bornes dans l'art de mettre en scène les désirs et les plaisirs,

    les corps des femmes et le regard des hommes, l'exacerbation des sens dans un monde de couleurs, de touchers et de senteurs.

     

     


    Entrouvrir ces portes m'a permis de réveiller un monde oublié de sourires et de fous rires, de frou-frou, de soie et de velours, de bulles de champagne et de regards croisés, une incroyable scène où se déroulaient les chassés-croisés des filles et des clients, sous l'oeil de la chorégraphe et surveillante-en-chef des lieux.

      

    Somptueux décors, panoplie d'accessoires répondant à tous les fantasmes, tout contribuait à déplacer les frontières entre rêve et réalité, entre licite et interdit, entre le statut social et les rôles imaginaires.

     

     http://www.officiel-galeries-musees.com/galerie-au-bonheur-du-jour-nicole-canet/exposition/decors-de-bordels-entre-intimite-et-exuberance

     

     

     En France, les maisons closes ont été impitoyablement fermées en 1946. Hormis quelques photos, quelques traces dans la littérature, rien n'a survécu de ces temples de l'Amour.

     

    Il faut faire preuve de beaucoup d'imagination pour essayer d'en retrouver l'ambiance.

      

      

     

     1. Le Chabanais

    La maison, installée 12, rue du Chabanais, près du Palais-Royal, était célèbre pour l'invraisemblable décor exotique de ses chambres.

     

    Ainsi, à l’Exposition Internationale de 1900, un prix fut décerné à sa

    « Chambre japonaise ».

     

    On y rencontrait également la Chambre Hindoue, et la Direc­toire, la Médiévale et la Napoléon III, la Chambre Mauresque « qui appelle le viol » ou encore la chambre Louis XVI, décorée de médaillons imités de Boucher...

     

      

    2. Le One Two Two

    Située au 122, rue de Provence, cette célèbre maison close attirait les amoureux des voyages avec une chambre transformée en intérieur de wagon-lit. Les banquettes de ce wagon étonnamment bien reconstitué étaient recouvertes de dentelles blanches oü trônait « une superbe Vénus noire ».

     

     http://www.actuphoto.com/12207-nicole-canet-maisons-closes-bordels-de-femmes-bordels-d-hommes-1860-1946.html

      

      

     aux belles poules 32 rue blondel paris:  

    3. Aux Belles Poules

    Au n° 32, rue Blondel.

     

    Afficher l'image d'origine

    La décoration intérieure fut lune des plus spectaculaires de Paris.

     

    Des mosaïques de faïence rouge rendaient hommage à la beauté féminine... en l’associant parfois à celle des gallinacés.

     

     

    aux belles poules 32 rue blondel paris:

    Au-dessus des portes, de belles Odalisques, forcément alanguies, voisinaient avec des compositions mythologiques mettant en scène des jeunes femmes dénudées au fessier rebondi.

     

     

    aux belles poules 32 rue blondel paris:

    Une femme rousse, un bandeau dans les cheveux, un sein dénudé, dissimulait son visage derrière un éventail...

     

     

     4. Le Sphynx

    Situé au 31, avenue Edgar Quinet, cet établissement accueillit le gratin intellectuel et politique de l'entre-deux-guerres.

     

     

     

    La « décoration égyptienne » des lieux était renommée.

     

    La statue d'un pharaon, aux jambes largement écartées, attendait la clientèle.

     

     

     

     5. Rue des Moulins

    Lune des toiles mondialement connues du peintre Toulouse-Lautrec, visible au musée Toulouse-Lautrec d'Albi, représente Mireille, une jolie pensionnaire rousse, en déshabillé vaporeux.

     

     

    Elle attend la clientèle dans une pose alanguie.

     

    La toile permet d’apprécier le décor de colonnades et de miroirs.

     

     

     

     6. Le Moulin Galant, rue de Fourcy

    Lécrivain Jean-Paul Clébert raconte :

    « II existait dans le quartier Saint-Paul, rue de Fourcy je crois, le plus étonnant des lieux publics, un bordel pour clochards.

     

    Ce foutoir maintenant disparu, sinon de la mémoire des usagers, et dont on de-Ane mais regrette l'atmosphère, était composé de deux pièces :

     

    le Sénat, où le tarif était uniformément de dix francs et la Chambre des députés oü il variait selon l’humeur et la qualité autour de quinze. »

     

     

     

     7. L'Abbaye, rue Saint-Sulpice

    C’était un bordel destiné à une clientèle d’ecclésiastiques. Alphonse Boudard l'a décrit en détail. « Les chambres s’aménagèrent sur la base de ce qui allait se dérouler. La salle de tortures, avec une croix de Saint-And ré... le crucifix aurait été par trop sacrilège... diverses tenailles, crochets et chaînes, un gibet pour les amateurs de corde au cou puisqu'il paraît quà un certain moment la petidaison provoque une érection...

      

    Passons à la chambre de Satan... avant-goût de l'enfer.

      

    Le patient y était reçu par des diablesses qui ne lui laissait aucun répit.

     

    On malmenait là aussi, mais en plus avec le sentiment de la damnation...

     

    Une des pièces s'appelait la sacristie... ça allait de soi.

     

    Un confessionnal était à part dans le recoin d'une chambre tapissée de rouge.

     

    Un endroit souvent demandé où les rôles s'inversaient parfois...

    Cela donnait lieu à des surprises... la nana était à poil ou en soutane selon le désir du client... »

     

     

     

     8. Le 29, rue du Thermomètre

    Lendroit, situé dans une rue détruite par le percement du boulevard Haussmann, était cher à Louis Aragon. 11 raconte :

     

    « Le lit de milieu, large et bas, meuble presque entièrement la pièce [...] La porte s'ouvre, et vêtue seulement de ses bas, celle que j'ai choisie, s'avance, minaudière [...] elle rit patte qu'elle voit qu'elle me plaît.

     

    Viens petit que je te lave. Je n'ai que de l'eau froide, tu m'excuses ?

    c'est comme ça ici.

     

    Charme des doigts impurs purifiant mon sexe, elle a des seins petits et gais, et déjà sa bouche se fait familière. »

     

     

     

     9. Madame Denis, rue du Papillon

    Lécrivain Maurice Dekobra y a décrit une visite.

     

    Dans un sous-sol évo­quant un harem de Beyrouth

     

    « onze femmes sans voiles, couchées pêle-mêle en des poses alanguies, attendent au bord d'un étang lumineux l'aurore aux doigts de rose.

    Les danses s'ébauchent.

     

    Les corps se meuvent... »

     

    Les jeunes filles chantent quelques couplets vaguement grecs.

     

    « Ça nous rajeunit de cinq mille cinq cents ans ! »,

    souffle Mme Denise.

     

    http://facebookrencontre.blogs.nouvelobs.com/archive/2012/08/03/10

    -maisons-closes-parisiennes-auxdecors-etranges.html

     

    Afficher l'image d'origine

      

    10. Chez Christine, rue Navarin

    On en voit encore la façade « médiévale »,

    c’était une boîte SM.

     

    « Rien n’y manque », pouvait-on lire dans le Guide des maisons d'amour et des musées secrets en 1935.

     

    « Collier de fer, menottes, chevalet, chaînes et même gibet.

     

    Ici l'imagination peut rê'/er aux sombres tragédies de l'inquisition.

    L'amateur, sans grand mal, se donne l'illusion d'être victime... ou bourreau. »

     

     

     

    JEAN JACQUES ROUSSEAU, un fervent adepte de la

    FESSEE ! 

     

    Les fesses étant des zones érogènes, il n’est pas très étonnant que certains veuillent utiliser la sensibilité particulière de cette région du corps pour élargir leurs possibilités de satisfaction sexuelle.

      

    Mais pourquoi le faire avec violence ?

     15

      

      Lui qui s’affole quand un jupon le frôle, qui n’a pas oublié le trouble étrange que lui a procuré la fessée de Mlle Lambercier, les jolies femmes rencontrées pendant ses errances, lui qui a avoué des pulsions sexuelles incontrôlables, "Maman" ne le trouble pas, n’apaise pas ses désirs, il la chérit. Il évoque la pureté de leurs étreintes.

     

     

    Jean Jacques Rousseau peut peut-être fournir une explication :

      

    il rapporte dans ses« Confessions » le trouble sexuel qu’avaient engendré chez lui les fessées qu’il reçut à l’âge de 8 ans de la main de Mademoiselle Lambercier, une femme de 30 ans, ce qui avait provoqué sa jouissance et aurait conditionné, dit-il, son masochisme et sa difficile relation aux femmes.

      

    Afficher l'image d'origine

     

    On pourrait donc se demander si les adeptes de la fessée, voire du sado-masochisme ne sont pas, comme J.J. Rousseau, restés accrochés à leurs premières expériences enfantines ?

      

    Freud écrivait à ce sujet en 1905 « depuis les confessions de J.J. Rousseau, il est connu de tous les éducateurs que la douloureuse stimulation de la peau des fesses est une des racines érotisantes de l’objet passif de la cruauté (masochisme) ».

     

    Jean Feixas décrit une large utilisation érotique de la fessée au XVIIIe siècle, la flagellation étant tout particulièrement recherchée par les usagers des maisons closes de l’époque, peut-être émules de Sade : aristocrates, ecclésiastiques ou manants y étaient nombreux à se soumettre à ces pratiques.

      

    Les « années folles » semblent aussi avoir été celles d’une grande attraction pour la fessée érotique, comme en témoigne la très riche iconographie que l’on peut trouver sur cette époque.

     

     

    http://www.canesegas.com/canne.erotisme/sources.credits.html

     

     

    Bonjour,

    Vous pouvez me laisser un

    commentaire, un message,

    cher visiteur.. ...

    vous qui venez à pas de velours lire mes articles sur Paname..

     

    ces ARTICLES de la vie "PARISIENNE LEGERE"

    dirons-nous

    sont simplement des articles Historiques,

    en aucune manière, un commentaire lubrique, grossier,

    ne doit être écrit sur ce blog.

    Merci

     

     

      

     

     

     

     

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    Paris pour les pervers

     

    une «archéologie érotique de la Belle Époque»

    Tony Perrottet débute son reportage parisien par une visite

    rue Saint-Denis et rue Blondel.

     

    Pour vraiment s’imprégner de l’essence de Paris, rien ne vaut un grand tour des bordels.

    Au début, il fut difficile de trouver trace de ces emporiums légendaires consacrés aux plaisirs de la chair et qui firent la réputation de la ville au XIXe siècle. Ils furent tous fermés par le gouvernement français il y a plus de six décennies et furent convertis à divers usages commerciaux au fil des années.

      

    Tout ce que je pouvais trouver, c’était des bribes —quelques vitraux par-ci, une portière étrangement ornée par-là. Mais quand je suis allé au 32, rue Blondel, le site d’un luxueux lieu de débauche appelé autrefois Aux Belles Poules, l’ambiance historique a été soudainement ressuscitée.

     

     

    »Une maquette imaginaire d'un bordel parisien haut de gamme. Musée de l'Érotisme, Paris.

    - Une maquette imaginaire d'un bordel parisien haut de gamme. Musée de l'Érotisme, Paris. -


    Rue Saint-Denis et rue Blondel

      

    Une petite promenade le long des boulevards étincelants de la rive droite m’a mené rue Saint-Denis, synonyme de prostitution à Paris depuis le Moyen Âge et qui a toujours sa quantité de filles qui font le trottoir entre les vendeurs africains.

      

    La rue Blondel a une réputation pire encore, c’est une allée étroite où des prostituées plus mûres et des travestis musclés rôdent dans les portes cochères, portant toutes et tous des collants serrés en léopard et des bustiers plongeants.

      

      

    Aujourd’hui, l’atmosphère est peut-être digne d’un film de Fellini, mais le numéro 32 fut autrefois le «spot» du glamour parisien, où des gentlemen victoriens allaient en masse pour jouir de merveilles érotiques sophistiquées.

      

    Aux Belles Poules fut apprécié en particulier pour ses tableaux vivants.

      

    Des couples parisiens aisés et des touristes à la recherche d’aventure apprécièrent ses pièces créatives telles que La nonne affolée, L’épouse se réveille ou Les officiers de marine en goguette, avec des actrices portant des phallus magenta.

      

      

    Aujourd’hui, Aux Belles Poules est facilement identifiable grâce au carrelage d’origine en faïence rouge de sa façade.

      

    Comme tous les bordels parisiens, il fut fermé en 1946 à l’occasion du grand coup de balai conservateur sur le marché français du sexe qui suivit la Seconde Guerre mondiale.

      

      

      

    Le bâtiment fut reconverti en logement pour étudiants, pendant que le rez-de-chaussée fut occupé par un grossiste en bonbons pendant des décennies, puis un importateur de vêtements chinois, avant qu’il ne soit fermé il y a deux ans.

      

      

    Quand je suis entré dans le hall, j’ai trouvé intactes les mosaïques abstraites sur le sol et la rampe d’escalier élégante en fer forgé. Le grand salon du bordel comporte toujours une galerie de peintures érotiques en carreaux de céramique.

      

    Des nymphes voluptueuses se prélassent sur des nuages floconneux.

      

    D’autres femmes dansent de façon onirique, dans un style qui évoque les fresques de Pompéi. Des miroirs antiques peuvent être aperçus derrière les tuyaux rouillés. Ce n’est que la difficulté physique pour enlever ces reliques qui les a sauvés des collectionneurs français, et en 1996, le Ministère de la Culture a émis un arrêté pour la préservation du bâtiment en ruines en raison de son «importance artistique et historique».

    Mais la rue Blondel reste un coin féroce de Paris. En essayant de photographier l’extérieur du numéro 32, des cris de furie se sont élevés le long de l’allée.

     

    «Ne photographiez pas les filles  ! »

      

    Une femme impressionnante portant une casquette militaire allemande est descendue de nulle part et a demandé mon appareil. Quand je lui ai expliqué mon intérêt très sérieux pour l’histoire des Belles Poules, elle s’est adoucie. J’étais clairement un connaisseur.

    «C’est tellement beau à l’intérieur» dit-elle.«Il devrait être rouvert pour nous, les filles!»

      

      

    le Guide des prostituées de 1883

    Pour avoir un aperçu un peu plus frais sur cette ville baignant dans les clichés romantiques, j’emploie souvent des guides périmés—de préférence depuis un siècle ou plus. Ces éditions jaunies arrivent à exhumer le passé comme un monde tangible plein de vie et d’activité. Vous pouvez presque entendre la circulation de chevaux, sentir l’odeur d’un marché aux fleurs, goûter des châtaignes rôties.

    Dans le cas de Paris, la ville de l’amour éternel, j’ai choisi une référence historique bien spécifique —un guide des prostitués de 1883.

     

     

    THE PRETTY WOMEN OF PARIS (LES JOLIES FILLES DE PARIS)
    Their Names and Addresses, (Leurs noms et leurs adresses)
    Qualities and Faults, (Qualités et défauts)
    being a Complete Directory or (Un répertoire complet ou)
    Guide to Pleasure (Guide du plaisir)
    for Visitors to the Gay City. (pour les Visiteurs de la Ville Gaie)

     

     

    Évidemment, je ne cherchais pas à jouir avec les fantômes des marchandes de sexe de Montmartre. Mais ce petit ouvrage mérite bien sa réputation parmi les chercheurs sur la vie clandestine pour sa foultitude de détails, fournissant un rappel bienvenu du bon vieux temps mythique de la ville, ainsi que les noms et les adresses des clubs les plus renommés, des établissements de nuit et des boudoirs privés de Paris en 1883.

      

      

    Bien que le livre ait été publié à titre anonyme, il est évident qu’il fut écrit par un expatrié britannique aisé de Paris qui voulait aider ses compatriotes.

      

      

    Seulement 169 copies du guide furent imprimées pour une«distribution privée» —dont quatre sur «papier vert-syphilitique» pour le Chef de la Police parisienne comme l’écrit l’auteur avec insolence dans sa préface.

    Aujourd’hui, Pretty Women est extrêmement rare; il ne reste que trois exemplaires originaux du texte. L’un d’eux se trouve à la New York Public Library, gardé sous clé dans la Collection des Livres Rares.

      

    (Bizarrement, il fait partie de la Collection George Arents sur le Tabac.) Alors, avant de quitter New York, j’ai pris rendez-vous pour le feuilleter dans la salle de lecture de haute sécurité de la bibliothèque. En me passant le texte délicat, qui était enveloppé dans un papier gris discret, le bibliothécaire m’a fait un clin d’oeil: «Cela a l’air intéressant»

    Et il avait raison: un aperçu par le trou de la serrure des boudoirs de luxe de 1883. Dans ses pages, au moins 200 femmes sont listées par ordre alphabétique par leur nom et leur adresse, avec des descriptions dans le style fleuri de l’époque.

      

    Ce n’est pas de la grande littérature, et les portraits des femmes sont d’aussi mauvais goût que l’on pouvait le prévoir, l’auteur tombant dans le registre équestre pour faire l’éloge d’«un corps bien nourri», «de dents blanches et fortes» et de«gencives rouges qui sont un signe sûr de santé».

     

     

     

    La belle Berthe Legrand, sise au 70, rue des Martyrs, par exemple, a les«dents d’un terrier» mais le seul balancement de ses hanches stimule le désir des hommes, s’enthousiasme l’auteur,«comme l’odeur de la viande cuite sur les cellules olfactives d’un homme affamé». Néanmoins, le guide présente une mine d’anecdotes et de commérages qui dépeint les personnalités des femmes et témoigne de l’ambiance de Paris à son apogée érotique.

    Lire la suite de la première partie: une «archéologie érotique» de la Belle Époque

     

     

     le «clitoris de Paris»

    Muni du guide des bordels «Pretty Women of Paris», Tony Perrottet continue son épopée parisienne à l'hôtel Édouard VII, puis à a Maison Dorée.

     

     

    Le lit de la courtisane La Valtesse de la Bigne, maintenant au musée des Arts Décoratifs. Photo Tony Perrottet.

     

     

    - Le lit de la courtisane La Valtesse de la Bigne, maintenant au musée des Arts Décoratifs. Photo Tony Perrottet. -

      

    Comme camp de base pour mes recherches, j’ai cherché un hôtel qui avait été autrefois un bordel. Une possibilité tentante était l’Hôtel Amour sur la rue de Navarin, qui offrait jadis un accès à une chambre de style médiéval, avec des chaînes, un chevalet, une croix pour attacher les clients et même un échafaud. Puis j’ai découvert quelque chose d’un peu plus à mon goût: l’hôtel de luxe Édouard VII, à côté de l’Opéra, sur la rive droite, qui fut pendant des années le pied-à-terre du débauché le plus célèbre de la Belle Époque.

     

     

    L'Âge d'or européen

      

    La Belle Époque, de 1880 à 1914, quand Paris était la capitale du monde des plaisirs illicites, pourrait être qualifiée d’âge d’or européen suscitant la plus vive nostalgie de nos jours. Des films tels que Moulin Rouge!, avec des personnages de beaux voyous, d’artistes maudits, et de prostitués au grand cœur, témoignent que cette réputation perdure.

    À l’époque, Paris brûlait encore plus brillamment comme le phare de la permissivité et du grand style. Le sexe, et surtout le marché de sexe, était tout simplement plus classe à Paris.

     

     

     

    Il est peu probable que ces détails soient célébrés dans la Maison de l’Histoire de France, prévue par Nicolas Sarkozy, le premier musée consacré à l’histoire nationale du pays. Pour les Victoriens, la ville fut révérée comme l’évasion ultime, une enclave de fantaisie charnelle loin des yeux critiques, et ses libertés n’étaient pas réservées uniquement aux hommes. Des femmes de la haute société, de Moscou à Minneapolis, étaient attirées comme des papillons de nuit par la flamme par ses boudoirs, où l’adultère était un sport pratiqué avec avidité.

      

      

    À l’aube, elles pouvaient être aperçues quittant en douce les maisons des Champs-Élysées et montant dans des carrosses en attente, leurs sous-vêtements sophistiqués enroulés dans une petite balle. Les visiteurs gays avaient besoin d’être un peu plus discrets, allant aux bains publics couverts de marbre près du Jardin du Luxembourg.

      

      

    Le bon vivant du coin, Marcel Proust, préférait l’Hôtel de Saïd près du marché des Halles, où des soldats en permission se retrouvaient pour un peu de repos. Le club lesbien le plus recherché s’appelait Les Rieuses, il était animé une fois par semaine par un trio d’actrices dans une villa allumée par des bougies sur les Champs-Élysées.

     

     

    Les prostituées valurent à Paris sa célébrité

    Mais ce sont les prostituées elles-mêmes, surnommées «les cocottes» ou «les horizontales», qui valurent à Paris sa célébrité. Le reste du monde s’émerveillait devant l’impudeur de leur marché, qui fut contrôlé par le gouvernement à partir de Napoléon pour empêcher la propagation des maladies sexuellement transmissibles.

      

      

    À la Belle Époque, il y avait 224 bordels autorisés à Paris, où les filles passaient des contrôles médicaux deux fois par semaine, une précaution complètement inconnue à Londres ou à New York à l’époque.

     

     

    Les plus luxueuses des maisons closes (ainsi appelées car leurs volets restaient fermés toute la journée) restèrent dans la légende internationale jusqu’aux années 1930, quand des vedettes de cinéma telles que Cary Grant les rendirent encore plus célèbres, leurs intérieurs furent décorés par des artistes célèbres, avec des «chambres fantaisie» pour satisfaire tous les goûts.

     

    Pour les moins aisés, il y avait 30 000 filles «licenciées»qui faisaient le trottoir et qui servaient leurs clients dans deshôtels de passe autorisés par l’État. Mais bien que la vision romantique de la cocotte parisienne se soit propagée jusqu’à nos jours —gaie, insouciante, aimant son travail— la réalité fut, sans surprise, bien différente.

      

      

    Le prix de la passe dans les bordels d’abattage n’était que d’un franc (5 euros aujourd’hui en prenant en compte le taux d’inflation). Surnommées les maisons d'abattage, il s’agissait d’endroits où les hommes prenaient un ticket numéroté et faisaient la queue à l’extérieur de la maison, et où une prostituée endurait jusqu’à 60 passes par jour.

    (pauvres femmes)

      

      

    La redoutable Police des Mœurs

    Toute fille qui n’entrait pas dans le système était à la merci de la redoutable Police des Mœurs qui chassait les filles non licenciées à travers Paris. Les abus furent endémiques. Après minuit, les agents spécialisés bloquaient des rues entières dans les quartiers ouvriers et se lançaient dans la foule en poussant des cris terrifiants.

      

    Selon l’historienne Jill Harsin dans Policing Prostitution in Nineteenth-Century Paris, les scènes étaient similaires aux rafles nazies dans les ghettos.

     

     

    Bien sûr, la classe la plus fascinante des filles de joieparisienne —les courtisanes de haut vol, connues comme les grandes cocottes— opérait bien loin de la Police de Mœurs. Mi-prostituées haut de gamme, mi-maîtresses, elles étaient les véritables princesses du demi-monde parisien. Beaucoup se sont extraites de la pauvreté pour devenir les amantes de financiers et d’hommes politiques, de princes et de millionnaires.

     

     

    Quelques-unes, vraiment chanceuses, amassèrent des fortunes personnelles immenses. Le peintre Auguste Renoir, dans la biographie écrite par son fils Jean, Renoir, Mon Père, fait l’éloge de leur force de caractère et de leur fine intelligence —comme les qualités raffinées de la geisha ou des haetera de la Grèce antique— qui faisaient d’elles des compagnes idéales dans n’importe quel cercle social.

     

    C’est pour aider des étrangers à naviguer entre les différentes strates de ce monde exotique, avec ses propres codes et ses propres mœurs, que The Pretty Women of Paris fut écrit.

     

    Un soir, j’ai décidé d’aller visiter une adresse où l’on trouvait une de ces femmes de moindre renommée évoquées dansPretty Women of Paris, mon guide de 1883 consacré à la prostitution à Paris. À la lettre A, la première sur la liste était Jeanne Abadie qui exerçait devant le 80, boulevard de Clichy.

      

    Jeanne Abadie était «une femme fringante, bien habillée, d’environ 27 ans»,ai-je appris, «avec une bonne allure sous la lumière du gaz, malgré ses fausses dents».

    Elle fut élevée dans l’arrière-scène d’un théâtre, où elle attira l’œil de riches boulevardiers. Sa personnalité était «peu raffinée et fougueuse»,prévient l’auteur, mais «son tarif était modéré». 

      

    Pigalle, épicentre sordide d'une foire formidable

    Je suis sorti du métro au coeur de Pigalle, un nom évoquant autrefois la romance. En 1883, des bohémiens passaient leur temps au Café de la Nouvelle Athènes, où Degas peignit Les buveurs d’absinthe, et les Parisiens s’extasiaient devant la vie nocturne de l’arrondissement représentée dans Un Bar aux Folies Bergère, qui fut exposé au dernier Salon.

      

    (La mort de Manet fut quant à elle moins romantique, lorsqu’elle survint au printemps 1883, des suites d’une amputation d’urgence consécutive à une syphilis attrapée lors de sa jeunesse désoeuvrée.)

    Aujourd’hui, Pigalle est l’épicentre sordide d’une foire commerciale, ces rues pullulant de sex shops éclairés par des enseignes au néon et fréquentés par des groupes d’Allemands lors d’enterrements de vie de garçon.

      

    Néanmoins, j’ai suivi les numéros, cherchant le 80, où l’on trouvait jadis Mademoiselle Abadie. J’ai rapidement découvert que le numéro 82 est le trop fameux Moulin Rouge. Ouvert en 1889, il était à l’époque d’Abadie un simple café musical. La nuit où je suis passé, des gardiens avec des haut-parleurs rassemblaient des foules de touristes rangés en file derrière des cordes en velours.

    Le numéro 78 est un supermarché érotique.

    Mais où est le numéro 80?

      

      

      

    Le musée de l'érotisme

    Quelques portes plus loin, au numéro 72, se trouve le musée de l'Érotisme, j’ai donc pris la décision d’y passer la tête. Le monde moderne a vu réussir énormément d’institutions de ce genre, mais normalement, ce sont des lieux cliniques et déprimants. Sans doute celui-là, sur sept étages, allait-il toucher le fond en matière de sensualité parisienne.

      

    À minuit (il est ouvert tous les soirs jusqu’à 2h00) le musée était désert à l’exception de quelques couples riants, j’ai donc sorti mon carnet et j’ai gribouillé rapidement quelques notes, essayant de prendre un air de chercheur.

      

    Le début de l’exposition n’était pas très prometteur. L’essentiel de la collection semblait être constitué de reliques du Japon. Puis je suis arrivé à l’étage consacré à Paris, avec des photos de scènes de bordels datant du XIXe siècle, des filles faisant le trottoir, et des travestis. Sur le mur était projeté un de ces films du début des années 1900 qui était montré dans les salles d’attente des bordels pour «exciter les appétits»;celui-là mettait en scène deux «bonnes sœurs»s’ébattant avec un petit chien.

      

    Devanture de la maison Au Moulin, 16, rue Blondel (2e) aux courbes et au décor floral Art nouveau.

    Devanture de la maison Au Moulin, 16, rue Blondel (2e) aux courbes et au décor floral Art nouveau.

      

     

     dernière fantaisie à Paris

    Visite au bordel Le Chabanais, qui fut lieu favori du Prince de Galles, et rencontre avec Nicole Canet, l'«archéologue érotique».

     

     

    Décoration du palace de La Païva, montrant le profil de la courtisane. Photo Tony Perrottet.

    - Décoration du palace de La Païva, montrant le profil de la courtisane. Photo Tony Perrottet. -

     

      

    J’ai refusé d’accepter le verdict pessimiste de Alain Plumey, le copropriétaire du musée de l’Érotisme, affirmant que toute trace du florissant marché du vice de la Belle Époque était éradiquée de la surface de la Terre.

      

    En consultant mon antique guide des prostituées,The Pretty Women of Paris, j’ai trouvé un index fournissant une liste des 100 bordels les plus classieux de la ville en 1883.

      

    La plupart était connue uniquement par leur adresse —24, Rue Sainte-Foy; 83, boulevard de Grenelle —mais jadis, derrière ces façades anonymes se cachaient de fabuleuses enclaves de luxe.

    Quelque chose de ces palais dédiés au péché a sûrement survécu, ai-je pensé.

      

      

     

     ce qu'il advint du fauteuil d'amour

     

    Tony Perrottet retrouve chez Louis Soubrier, antiquaire,

    le fauteuil d'amour d'Édouard VII.

     love seat

    Second throne: The special chair made for the playboy Prince Bertie, the future Edward VII, to take his weight during lovemaking in a Parisian bordello

     

     

    Une maquette imaginaire d'un bordel parisien haut de gamme. Musée de l'Érotisme, Paris.

    - Une maquette imaginaire d'un bordel parisien haut de gamme. Musée de l'Érotisme, Paris. -

     

     

    «Le Chabanais»

    Tout près de ma propre adresse de résidence, l’Hôtel Édouard VII, on trouvait autrefois le renommé 12, rue Chabanais, qui fut tout simplement, prétend mon guide, «la bagnio [le bain, un sobriquet pour un bordel] la plus exquise du monde». Si Paris était l’île de la fantaisie en Europe, «Le Chabanais»,comme les Parisiens l’appelèrent avec affection, était son bijou rêvé.

     

    Chacune des 30 pièces du bordel était décorée selon un thème différent, créant un catalogue raffiné des arts érotiques. Il fut ouvert en 1878 par une ancienne courtisane richissime, «Madam Kelly», qui aurait dépensé plus de 1.700.000 francs sur la décoration intérieure (actuellement environ 8,7 millions d’euros), et qui rapidement attira les financiers, les hommes politiques, les aristocrates et les vedettes de la scène les plus riches d’Europe.

      

      

    Je me suis promené dans la rue Chabanais, aujourd’hui une petite rue arborée et tranquille derrière la Bibliothèque Nationale, semée de petits restaurants modestes et de petites galeries d’art. Et, oui, l’extérieur d’époque du 12 est toujours intact —un mince immeuble de sept étages avec une nouvelle couche de peinture beige. En 1883, la façade du Chabanais était aussi discrète pour ne pas attirer l’attention des indésirables. Mais quand les portes étaient ouvertes par un Africain habillé d’une tenue mauresque étincelante, un monde magique se dévoilait.

     

     

      

    100 francs pour choisir sa fantaisie

    Le vestibule du bordel ressemblait à une grotte souterraine, avec des murs en pierre artificielle et des cascades. Les clients étaient emmenés au premier étage —la salle Pompéi tout en miroirs— où des femmes peu vêtues s’inclinaient sur des sofas romains surmontés de fresques de 16 vignettes en huile peintes par —qui d’autre?— Henri de Toulouse-Lautrec, bien sûr, et représentant des centaures masculins et féminins se livrant à des actes sensuels.

    C’est à cet étage que s’opéraient les transactions financières. Aucun argent ne pouvait être échangé au-dessus, donc les clients achetaient là à la dame des jetons qu’ils pouvaient échanger plus tard contre des boissons et des services. Le minimum était 100 francs —environ 500 euros d’aujourd’hui. À ce stade, les clients n’avaient plus qu'à choisir leur fantaisie. Il y avait la chambre hindoue, ornée avec des oeuvres d’art indien; la chambre turque, remplie d’artéfacts orientaux; ou le Salon Louis XV, pour les francophiles purs et durs.

      

    La pièce vénitienne, évoquant la Renaissance italienne, avait un lit énorme en forme de coquille. Dans le salon japonais, il y avait six divans arrangés en cercle autour d’un brûleur d’encens. Il y avait même une chambre pirate, avec des hublots contre lesquels l’eau de mer pouvait être jetée par les employés.

      

      

      

    Le lieu favori du Prince de Galles

    Cela ne me surprenait point que Le Chabanais ait été le lieu favori du Prince de Galles. Déjà, il pouvait s’y rendre facilement depuis son appartement. Son lieu préféré était la chambre hindoue, et c’est là qu’il avait fait installer ses deux accessoires célèbres, réalisés sur mesure. Le premier était une baignoire énorme faite en cuivre rouge brillant. Elle avait la forme d’un vaisseau, avec une sirène à grosse poitrine sur la proue. On suppose que le prince la remplissait avec du champagne Mumm durant les nuits chaudes d’été.

    L’autre création fut son fauteuil d'amour —appelé encore le trône d’amour ou la chaise du sexe.

    En 1890, la taille de Bertie mesurait 121 centimètres, donc il s’était fait construire un appareil pour faciliter ses rencontres sexuelles, avec de longues poignées lui permettant de descendre sur ses partenaires. L’astucieux appareil resta au Chabanais bien après la mort du roi en 1910, et les propriétaires l’exposèrent fièrement quand ils commencèrent à faire des visites guidées dans les années 1920 —pendant la journée, quand les filles dormaient.

    Un journaliste américain, Walter Annenberg, participa à une visite en 1926. «Ils vous font visiter les chambres comme si c’était une visite au musée Tussaud» raconta-t-il plus tard. La chaise du sexe royal, qu’Annenberg a décrite comme une sorte de «palan» en était le point fort. «[Le prince] y montait comme s’il allait dans une étable».

      

    Dans les années 1930, les maisons closes étaient autorisées à Paris, mais étroitement surveillées par la police mondaine. Leurs devantures étaient très discrètes, pour ne pas choquer les passa A. GELEBART / 20 MINUTES, PREFECTURE DE POLICE, MUSEE DE L'EROTISME, DR

      

     

    Le message de Soubrier

      

    De retour à mon hôtel, j’ai cherché l’adresse de la société Soubrier. Le grand magasin de meubles est resté au même endroit depuis les années 1850, sur la rue de Reuilly dans le 12e arrondissement. Je ne gardais plus beaucoup d’espoir, mais j’ai envoyé un mail cordial à l’actuel patriarche de la dynastie, Louis Soubrier, en expliquant que j’étais chercheur sur l’histoire des maisons closes de Paris. Saurait-il, par hasard, qui possédait actuellement le fauteuil d'amourdu Roi Édouard VII?

     

     

    Deux jours plus tard, j’avais un message époustouflant sur ma boîte mail de la part de Louis Soubrier lui-même, avec pour objet: «EDWARD VII CHAIR». «Quand vous serez à Paris» écrivait-il, «Je vous montrerai le fauteuil d’amour avec plaisir».Je me précipitai tout de suite sur le téléphone, demandant des indications pour trouver l’entrepôt.

    La famille Soubrier fit fortune au XIXe siècle en réalisant des répliques historiques de meubles romains et d’ancien régime —raison pour laquelle, sans doute, elle fut choisie par le Prince de Galles pour créer son appareil de fantaisie. Aujourd’hui, Louis Soubrier est antiquaire, louant souvent des pièces pour des tournages de films historiques.

     

    «Venez avec nous, nous dînons ensemble!»

      

    En sortant du métro, je me suis retrouvé sur une des rues les plus banales de Paris, ce qui est normal pour un quartier anciennement industriel. Je suis directement tombé sur Soubrier, qui était en train de sortir de l’immeuble. Un homme digne, dans la soixantaine, avec une grosse moustache, portant une veste en tweed et une cravate jaune, il m’a évoqué le souvenir d’un pilote de chasse à la retraite. «Oh, j’ai oublié de vous dire que nous fermons à l’heure du déjeuner» dit-il, vaguement amusé par mon indifférence à cette tradition française. «Venez avec nous, nous dînons ensemble!»

    Oh non, ai-je pensé, inquiet de dire quelque chose lors du repas qui allait le faire changer d’avis. (Genre «Vous avez seulement envie de regarder le fauteuil? Je croyais que vous aviez envie de l’acheter!»)À sa brasserie préférée, de l’autre côté de la rue, nous nous sommes mis à table avec l’un de ses amis, également fabricant de meubles dont le dachshund n’arrêtait pas de sauter à ses pieds. Soubrier nous a régalés avec des histoires sur ses voyages aux États-Unis pendant sa jeunesse. Pendant les années 1950, il a été à Newport, Rhode Island, et a assisté à la fête d’anniversaire de Jacqueline Bouvier. Ses histoires étaient incroyables, mais j’étais fixé sur les meubles. Avait-il toujours envie de me montrer le fauteuil d’amour?

    «Mon père était un homme très correct, très formel»,a-t-il expliqué.

    «Il ne m’a jamais parlé du fauteuil d’amour. Mais quand il fut de nouveau sur le marché en 1992, un de nos anciens courtiers m’a pris à part. Il m’a appris que mon arrière grand-père avait construit le fauteuil au début des années 1890, sur des spécifications du Prince de Galles lui-même. Alors j’ai commencé à regarder dans nos archives. Et oui, le voilà. J’ai trouvé les croquis de mon ancêtre, une aquarelle. C’était la preuve vivante.»

    Soubrier a acheté le fauteuil —pour combien il ne le dit pas, à part que c’était«très, très cher»—et il l’a gardé depuis. Pendant un petit moment, le fauteuil a voyagé à New York pour une exposition de «meubles de fantaisie». C’était ça, sans doute, la base de la rumeur selon laquelle il avait été vendu à un Américain. Une galerie de Manhattan a refusé de l’exposer. «Les Américains étaient choqués» ,jubila-t-il.

     

     

     

    L'AUTEUR

    Historien et journaliste spécialisé dans le voyage Tony Perrottet est l'auteur de Pagan Holiday et Napoleon's Privates: 2,500 years of History Unzipped. Son dernier livre, The Sinner's Grand Tour: A Journey Through the Historical Underbelly of Europe, est sorti pendant l'été 2011.

     http://www.slate.fr/story/39865/paris-pervers-premiere-partie

      

      

      

      

     

     

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